jeudi 21 février 2008

Nobras, Anarchiste



Un entretien à lire entre liberté, autorité, oppression et égalité.

1-Quelle était l’origine de votre arrivée en Algérie ? A quelle époque date l’installation de votre famille en Algérie ?

Mon père est né à Alger et ma mère y est arrivée à l’âge de dix ans en provenance du Pays Valencien (Espagne). Du côté de mon père au 19ème siècle et de celui de ma mère vers 1930 …
Mes parents étaient d’origine sociale modeste …

2-Quels étaient vos liens avec les Algériens lorsque vous étiez enfant puis adulte ?

Enfant et adolescent j’avais des liens amicaux, fraternels, de camaraderie avec mes copains de quartier. Il est difficile de parler des « Algériens » avant 1962 … Adulte, par la suite en France, il s’est agi plus pour moi de liens de solidarité quand la lutte aux côtés des Sans Papiers nous a fait rencontrer des hommes de cœur et d’une grande dignité.

3-Quelles ont été vos conditions de travail en Algérie ?

Je suis parti d’Algérie à l’âge de seize ans. Je n’ai pas eu à être exploité durant cette période par un patron quelque origine que ce soit. Mon père était artisan électricien et ma mère « femme au foyer » comme il est convenu de dire. Toute jeune ma mère faisait les ménages, la bonne à tout faire, dans les familles européennes au niveau socialement élevées …

4-Quelle est l’image que vous garderez toujours en mémoire au sujet de l’Algérie ?

Un pays de rêve, à la fois aride et cuisant de soleil par ailleurs baignée par une mer sans nulle autre pareille. Un pays jeune et insouscient que la connerie rassemblée des politiciens, des détenteurs de capitaux et autres « parasites » a entraîné dans des affrontements inter-communautaires sans possible retour …

5-Faîtes-moi part de vos souvenirs.

Mes souvenirs sont éparpillés ici au milieu des réponses à votre questionnaire. Pour le reste, ce qui est personnel ne représente à mon sens pas grand chose d’intéressant d’un quelconque point de vue. De plus les souvenirs ne sont pas automatiquement liés à une culture, à une terre … mais bien plus à des moments de vie, assez semblables du reste, à ceux d’autres individus nés ici ou là, au gré des circonstances.

6-L’indépendance était-elle inévitable ?

NON bien évidemment... Il s’agissait avant tout d’une indépendance d’esprit, dans la mesure où le peuple algérien dans sa totalité aurait dû réaliser la chance qui se présentait à lui : envoyer les tenants du colonialisme français (toutes tendances confondues) dos à dos et ceux d’une société algérienne basée sur l’exploitation de l’Homme par l’Homme. C’était la seule voie intelligente, cohérente, humainement et socialement généreuse. Indépendance par rapport à l’Etat français bien présent et à l’Etat algérien, en devenir et en gestation !

7-Que pensez-vous des colons français ?

Comme dans le cas de n’importe quelle autre colonie, ce sont les propres intérêts des colons qui ont joué le rôle moteur dans la colonisation. Les aspects humanitaires, le bien être social et économique des populations autochtones, le devenir des premiers occupants du pays sont autant de paramètres qui n’ont pas pesé bien lourd dans la balance quand il s’est agit d’engranger et d’amasser de vastes propriétés terriennes, etc …

8-Quels son vos sentiments à propos de l’OAS ?

Aucun sentiment particulier. La guerre d’Algérie s’est achevée par le divorce entre la métropole et sa colonie. D’un côté l’Etat français qui avait, dans un premier temps, mené une guerre ouverte au FLN et qui, au final, a fini par entériner les revendications d’indépendance.  De l’autre une population européenne qui s’est, très longtemps, contenté du status quo social et politique. Mieux même, qui s’est satisfaite du statut de seconde zone imposé aux populations d’origine algérienne … L’OAS a plus représenté, dans ce contexte, la réponse violent et désabusée d’une communauté qui s’est sentie trompée, flouée, cocufiée, qu’une possible alternative à la présence métropolitaine en Afrique du Nord. En fait, l’OAS a terminé le travail de sape commencé par les premiers colons et historiquement elle est l’indiscutable émanation du colonialisme français.

9-Que pensez-vous de De Gaulle ?

A vrai dire pas grand chose de particulier. C’est un homme d’Etat et un homme de clan. A ce titre il a usé et abusé des tics inhérents à la classe politicienne. Il a soutenu, quand il l’a jugé nécessaire, la présence française dans les colonies. Les intérêts « supérieurs » de l’Etat et ceux « privés » des capitalistes français trouvèrent en De Gaulle un défenseur acharné. Quand les intérêts économiques liés à la présence française dans les pays d’outre-mer, et notamment les retombées financières de la colonisation, commencèrent à décliner, De Gaulle joua la carte d’un recentrage franco-français, tout juste teinté d’une pointe d’européanisme…

10-Cinq mots pour définir votre Algérie.

REGRET
COLONISATION
NATIONALISME
EXPLOITATION
CHANGEMENT DE MAITRES

11-Qu’est-ce qu’une personne déracinée selon vous ?

Une personne qui n’a plus de repères culturels, sociaux, comportementaux qu’elle avait auparavant au quotidien. Une personne déracinée qui considère sa terre natale d’un point de vue « chauvin » et « nationaliste » reste déracinée car ce qui fonde ce type de déracinement c’est l’idée qu’il y eu une perte irréparable, voir le « vol » de la-dite terre... Le déracinement lié à un vide affectif et/ou culturel perd peu à peu de sa réalité, au fur et à mesure qu’un autre « affect » et qu’une autre richesse culturelle viennent remplacer « le bagage » ancien …

12-Que pensez-vous du FLN ?

La même chose que pour tout mouvement « national » de libération qui place la nécessité de la lutte d’indépendance ou de « libération nationale » sur le plan des « différences » communautaire, sur le plan de la primauté d’un nationalisme sur l’autre, sur le plan de l’affrontement entre des « valeurs » et/ou des qualités d’appartenance à un peuple par rapport à un autre etc... En réalité le FLN est le bras armé de la bourgeoisie nationale algérienne. Historiquement il va créer les conditions d’un simple changement de personnel politique. L’Etat algérien va remplacer sine die l’Etat français. Le capitalisme algérien a pris la place du capitalisme français... Les conditions sociales des couches les plus pauvres (déshéritées) du peuple algérien pendant la présence française ne se sont pas améliorées après l’arrivée du FLN au pouvoir... Le FLN est en fait l’appareil de confiscation de la révolution au seul bénéfice de la bourgeoisie et de la nomenklatura.

13-Que pensez-vous des Français de la métropole lors de la guerre d’Algérie ?

Rien de particulier. L’Algérie était une « région » trop éloignée pour que les événements préoccupent les populations de métropole. De plus, après la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Indochine, les affrontements franco-algériens furent vécus par les métropolitains comme une sorte d’acharnement militariste, guerrier au moment de résoudre des problèmes.

14-Faîtes-moi part de vos conditions d’arrivée en Métropole ?

Rien de particulier. Arrivée en bateau à Marseille. Voyage en train jusqu’à Paris et ensuite jusqu’à Rouen. Là, la Croix Rouge nous a accueilli et nous avons pris un taxi pour nous diriger vers une adresse où la plus âgée de mes sœurs vivaient. Elle était arrivée en France au début de l’année 1962 …

15-Lors de cette arrivée par quoi avez-vous été le plus surpris ?

L’accueil des gens en Normandie a été des plus corrects.

16-Quelles ont été vos déceptions ? Quelles étaient vos aspirations lors de cette arrivée en Métropole ?

Pas de déception particulière, car il n’y avait pas chez moi, à seize ans, d’aspiration particulière. Tout juste le climat qui me changeait radicalement de celui d’Alger …

17-Avez-vous un message à faire passer aux Algériens ?

Quel dommage que les hommes se choisissent, de manière quasi mécanique, des chefs, des meneurs, des leaders et des « représentants ». C’est somme toute une manière aisée et quelque peu « lâche » de ne pas assumer la responsabilité de la vie sociale en société. « Le manuel de la servitude volontaire » est à cet effet fort explicite ! Toutes celles et tous ceux qui peuplaient l’Algérie auraient dû s’intituler citoyens du monde et renvoyer dos à dos les politiciens Français (y compris les pieds-noirs estampillés) et les politiciens Algériens… La vie autogérée y était possible ! La vie égalitaire y était possible ! Malheureusement le sempiternel recours à l’Etat et à ses gouvernants, quelle qu’en soit l’origine, établit des rapports de dimensions dominants/dominés, des décideurs et des suivistes et bien sûr des vainqueurs et des vaincus. Aujourd’hui, la très grande majorité des Pieds noirs de l’époque e la très grande majorité des Algériens se trouvent dans une situation identique : aliénés et exploités, malgré eux le plus souvent, … Et d’un côté et de l’autre de la Méditerranée, des gouvernants qui se gavent !

18-La France (la Métropole) est-elle après toutes ces années votre pays ? Expliquez pourquoi ?

OUI ! Au même titre que toute terre est ma terre ! Je suis de nulle part et de partout à la fois. Mon pays c’est la LIBERTE étendue au monde entier. Utopie ? Certainement si la question est posée à la petite coterie qui dirige la monde et en profite. Espoir si on se réfère au plus grand nombre, spolié par les nantis de toutes origines …

19-Qu’est-ce que l’intégration selon vous ?

L’intégration est pour moi la capacité des individus à s’accepter entre eux au delà des différences qui peuvent être repérées. Hommes et Femmes, Jeunes et Adultes, Gens d’ici et Gens d’ailleurs... La question de l’égalité sociale, économique et culturelle fonde, pour moi, l’identité de l’intégration. Ce qui est légitime c’est la différence qui peut exister. En revanche, il est totalement illégitime que cette différence conduise à une situation de domination, d’aliénation, de vie au rabais !

20-Par quoi avez-vous envie de terminer votre témoignage ?

Une chose simple en vérité. J’ai assez longtemps cru que les natifs d’Algérie n’envisageaient les questions politiques qu’au travers du prisme déformant d’une « guerre perdue », d’un « pays perdu », etc... Heureusement, très nombreux sont les natifs de là-bas, qui envisagent la question sociale sous l’angle de l’Humain, de l’égalitarisme et du socialisme « libertaire ». Juste retour des choses quand on sait que le peuplement Pied noir tire son origine de l’arrivée massive de Communards, de lutteurs Italiens chassés par le fascisme, d’Espagnols qui ont dû fuir le franquisme, … Des réprouvés, des êtres humains qui n’avaient pas le profit comme moteur ou comme objectif !

Vincent Bouba, 23 août 2005

1 commentaire:

Anonyme a dit…

anarchie vaincra