lundi 28 mars 2011

Les surréalistes face aux mythes de la France coloniale (1919-1962)


De la guerre du Maroc en 1925 à la guerre d'Algérie, les surréalistes sont parmi les rares écrivains à réclamer, aux côtés de l'extrême gauche, « l'évacuation immédiate des colonies ». Fascinés par l'art « primitif » auquel ils tentent d'associer leur propre image, révoltés par l'ordre occidental, ils élaborent une poésie du Sauvage qui renverse les préjugés colonialistes. Orientaliste, leur écriture se veut aussi destruction d'une littérature ethnocentrique et coloniale. Mêlant jusqu'à les confondre la revendication anticoloniale et l'exaltation poétique de l'altérité, leur parti pris procède avant tout d'une esthétique de l'anticolonialisme. Le surréalisme se redécouvre ici à l'aune du paradigme colonial.

Si à l'heure des décolonisations, les intellectuels s'emparent de cette position politique, dans les années 1920, les surréalistes sont isolés lorsqu'ils s'insurgent contre la France coloniale. Dès lors, à l'avantgarde qu'ils incarnent dans le domaine esthétique et poétique, correspond une avant-garde politique caractérisée par la précocité et la radicalité de leur anticolonialisme. Fort de cette contestation, « la plus fondée du monde » selon André Breton, le mouvement surréaliste appartient pleinement à l'histoire de ceux qui refusèrent l'impérialisme.

Alors que le surréalisme a fait l'objet de nombreux ouvrages, peu se sont penchés de manière critique sur cette revendication politique. Aujourd'hui, les cultures extra-occidentales sont largement mises à l'honneur tandis que le passé colonial de la France fait l'objet d'un important travail mémoriel. Or, dès les années 1920, les surréalistes s'appropriaient déjà ces questions. L'histoire de leur anticolonialisme, indissociable de leur représentation poétique des non-Occidentaux, éclaire le présent de manière singulière.

- Sophie Leclercq, La rançon du colonialisme – Les surréalistes face aux mythes de la France coloniale (1919-1962), Les presses du réel, 2010.

mercredi 23 mars 2011

Algérie, 20 août 1955

L’un des événements les plus marquants de la guerre d’Algérie est celui du 20 août 1955. Ce jour-là, à midi très exactement, des soldats de l’Armée de libération nationale, branche armée du FLN, appuyés par la population, attaquent simultanément les agglomérations situées dans le quadrilatère délimité par Collo, Philippeville, Guelma, Constantine. Des centaines d’hommes, parfois accompagnés de femmes et d’enfants, investissent les villes. Certains brandissent des couteaux, des serpes, des haches, plus souvent des gourdins et des bâtons.

Encadrés par les militaires de l’ALN, ils assaillent les centres du pouvoir colonial, les gendarmeries et les casernes, les mairies, les dépôts et les silos. Au cours des affrontements, 26 militaires français et 92 civils dont 71 Européens sont tués. La situation est rétablie le jour même. Les représailles accompagnent la répression, elle se poursuivent durant plusieurs semaines et se soldent par la mort de milliers de civils algériens.

Faute d’archives aisément accessibles, les historiens n’avaient pas osé encore s’attaquer à cet événement, laissant à certains la possibilité d’imposer un seul récit, celui d’un massacre généralisé qui aurait été perpétué par les Algériens. Au terme d’un travail de fourmi, croisant diverses archives extrêmement importantes et incontestables avec le témoignage de survivants des deux bords au massacre d’El-Alia, Claire Mauss-Copeaux rétablit la vérité : contrairement à ce que l’on dit depuis 45 ans, à Philippeville les massacres ne furent pas le fait des Algériens (deux Européens « seulement » furent tués), mais des soldats français, lors des opérations de représailles. En revanche, Claire Mauss-Copeaux établit qu’il y eut bien un massacre à El-Alia. Un livre-choc sur un tragique exemple de désinformation et de rumeur.

- Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955 - Insurrection, répression, massacres, Editions Payot, 2011.

Algérie 1954

1954. L'armée française est défaite à Diên Biên Phû. Les premiers coups de feu retentissent dans les Aurès d'Algérie. Le talent de Benjamin Stora nous fait vivre les dernières heures cruciales de l'Algérie française en un récit âcre et mélancolique, mélange d'immaturité et d'inaccompli pour les Européens d'Algérie, de rage et d'espoir pour les colonisés.

- Benjamin Stora, Algérie 1954 - Une chute au ralenti, Éditions de l'Aube, 2011.

Comment de Gaulle a perdu la guerre d'Algérie


Comment le FLN a-t-il fait, alors que ses troupes étaient écrasées par l'armée française, pour amener de Gaulle et le gouvernement de la France à accepter l'indépendance ? La réponse se trouve bien au-delà des frontières de l'Algérie, car c'est sur la scène internationale que les nationalistes ont livré leurs combats les plus décisifs.

Leurs meilleures armes furent psychologiques et médiatiques. Rapports sur les droits de l'homme, conférences de presse, congrès de la jeunesse, etc., furent utilisés pour alerter l'opinion mondiale et invoquer les lois internationales dans un contexte qui était également celui de la guerre froide. Soutenus par des pays aussi divers que l'Arabie Saoudite et la Chine communiste, les Algériens finirent par rallier une majorité contre la France aux Nations unies.

Ainsi vinrent-ils à bout d'un président et d'un gouvernement désormais obsédés par l'impact de la guerre sur la réputation de leur pays à l'étranger. Un exemple pionnier qui allait inspirer l'OLP d'Arafat, ou encore l'ANC de Mandela...

- Matthew Connelly, L'arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d'Algérie, Editions Payot, 2011.

Matthew Connelly est professeur d'histoire à Columbia University. Il est considéré comme l'un des historiens les plus doués de sa génération. Son livre a déjà reçu cinq prix depuis sa parution.


jeudi 17 mars 2011

Albert Camus, L'écriture des limites et des frontières


Pour commémorer l'obtention par Camus du prix Nobel de littérature en 1957, de nombreux chercheurs de tous horizons se sont réunis à Tunis cinquante ans après, à l'initiative de l'Unité de recherche Poétique théorique et pratique, avec le concours de l'École Normale Supérieure de Tunis, de l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis et de l'Institut Supérieur des Études appliquées en Humanités de Zaghouan.

Les échanges visaient à explorer la question des limites et des frontières dans la pensée, l'esthétique et l'écriture d'Albert Camus. L'oeuvre camusienne pratique en effet constamment le chevauchement des genres en se jouant de leurs marges et de leurs codes. Elle se fonde sur des points de tension entre plusieurs pôles opposés, plusieurs claviers énonciatifs et donne à lire des textes hybrides qui sont refus du sens unifié et réducteur.Cet ouvrage rassemble les études échangées qui, privilégiant les champs de la poétique et de la stylistique sans que cela exclue les éclairages philosophiques, portent sur les brouillages de frontières génériques et esthétiques, l'« expérience » des limites, l'hybridation d'une telle œuvre. Il incite à repenser le texte camusien dans le sens d'une poétique générale qui pose la question du style et du lien entre esthétique et vision du monde.

La collection « Entrelacs » a l'ambition de resserrer les fils du dialogue ininterrompu entre chercheurs en lettres et sciences humaines de France et du Maghreb, et d'assurer la meilleure diffusion aux résultats les plus remarquables de ce dialogue. Sud Éditions et les Presses universitaires de Bordeaux, avec l'appui du service de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France en Tunisie, souhaitent ainsi illustrer la vitalité du « français en partage » sur les deux rives de la Méditerranée.

- Mustapha Trabelsi, Albert Camus, L'écriture des limites et des frontières, Presses universitaires de Bordeaux, 2010.