1- Cinq mots commençant par S vous définissant bien ?
Solitaire mais Solidaire, Secrète, Scorpion, Sang-mêlé
2- De quand date l’installation de votre famille en Algérie ?
L’installation de ma famille en Algérie date approximativement des années 1860 du côté de ma grand-mère paternelle et des années 1910, côté grand-père paternel. Ces derniers étaient commerçants à Alger.
3- Comment vivez-vous à notre époque vos origines pied-noires ? Les revendiquez-vous ? En parlez-vous avec vos enfants ?
Depuis mon enfance, je n’ai que rarement parlé de mes origines Pieds-Noires en dehors bien sûr du cercle familial. Ceci est certainement dû au fait que j’ai grandi en Pays de Loire et que la présence des Pieds-Noirs dans cette région est minime par rapport au sud de la France. Je me suis rapidement rendue compte que les enfants "Pur Français" de mon âge étaient mal informés sur cette page d’histoire. Peut-être parce que leur parents n’étaient pas concernés et que l’on ne passait pas de longues heures à étudier la colonisation de l’Algérie en classe. Ca, c’était au début des années 80. Aujourd’hui, ces mêmes enfants ont grandi mais en savent-ils plus ? Le mystère demeure car je ne leur pose pas la question. Pour autant, j’ai toujours affiché et expliqué mes origines quand le moment se présentait. Il m’arrive d’en parler avec mes enfants, mais c’est surtout au travers de mon père qu’ils découvrent cette partie de leur généalogie. Ca leur paraît loin, ce qui est logique puisqu’ils sont la deuxième génération à être née en métropole. Il me semble important de poursuivre cet enseignement familial car d’ici quelques décennies, c’est tout une période qui partira avec ses derniers représentants. Ainsi, disparaîtront avec eux, la "tchatche avec les mains", le pataouète et l’accent Pied-Noir.
4- Cinq mots pour définir selon vous l’Algérie ?
Colonisation, Déchirure, Racines, Guerre, Fraternité
5- C’est quoi selon vous "une personne déracinée" ?
Pour moi, une personne déracinée est née en Algérie. Elle vivait bien durant son enfance et, le cas échéant durant sa vie d’adulte, en cette terre si douce, entourée d’Aglériens et de Français. Le verdict est tombé en 1962 et c’est alors qu’elle a dû quitter ce pays qu’elle s’était approprié pour y être née. Elle a tout laissé derrière elle pour le grand nord froid de la métropole. Partie sans se retourner avec ses 20 kg de bagages autorisés par personne avec pour seul projet de reconstruire une vie dans un pays inconnu, avec parfois une population hostile au Pieds-Noirs. Etre déraciné, c’est se sentir étranger dans son pays, perdre ses repères mais heureusement, garder la cellule familiale.
6- Quelle est la question que vous n’auriez surtout pas aimé que je vous pose ?
A priori aucune. Rien n’est tabou. Au pire, si une question me gêne, je choisis de ne pas y répondre.
7- L’indépendance était-elle inévitable ?
Oui et même souhaitable pour qu’enfin l’Algérien retrouve sa place dans le pays qu’on lui a volé. Si un Pied-Noir est déraciné parce qu’il a quitté l’Algérie, l’Algérien l’a été tout autant depuis 1830 en voyant son pays envahir par cette vague occidentale qui soi-disant apporterait richesses et égalité pour tous. A force de vouloir coloniser toujours plus, la montée du nationalisme était inévitable.
8- Quel est votre sentiment à propos de De Gaulle ?
Depuis toujours, j’ai entendu parlé de l’attitude de De Gaulle comme d’une trahison envers la communauté Pied-Noire. Je le comprend très bien. Dans un premier temps, nous assistons au discours "Je vous ai compris" du 4 juin 1958 promettant une Algérie française. Puis, le 18 mars 1962, les accords d’Evian favorisent l’indépendance algérienne. Il y a de quoi s’y perdre pour le Pied-Noir.
9- Auriez-vous un message à faire passer aux Algériens ?
Je souhaite de tout coeur aux Algériens que la paix s’installe enfin, en regard des douloureuses expériences passées pendant et après la colonisation. Le référendum du 29 septembre dernier portant sur la "Charte pour la paix et la réconciliation nationale" s’est caractérisé par une forte mobilisation des élécteurs qui s’en est suivie par une victoire massive du "oui". Peut-être peut-on alors laisser entrevoir un début d’apaisement, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
10- Par quoi souhaiteriez-vous terminer cet E-terview ?
Je terminerai par la loi du 23 février 2005 visant à glorifier la colonisation française en Algérie (entre autres). Le texte insiste sur les souffrances endurées par nos compatriotes durant la guerre. J’ai plusieurs fois lu ce document, je n’y trouvé aucune compassion à l’égard des Algériens, comme si finalement, ceux-ci n’avaient subi aucune souffrance morale ou physique. Il va de soi que les manuels scolaires enseigneront à nos enfants le bien-fondé des colonisations et fera tomber dans l’oubli le douloureux accouchement d’un nouveau pays pour ses indigènes.Enfin, ceci n’est que mon interprétation personnelle.
Vincent Bouba, 21 octobre 2005
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