jeudi 21 février 2008

Entretien avec le rappeur Azim



Ludovic Saëz, vivre ses origines pied-noires en 2004.

Ludovic Saëz n’est pas du genre à adopter la langue de bois. Fils et petit fils de Pied Noirs installés en Algérie dès le début de la présence française, il revendique fièrement cette culture tout en restant sensible et à l’écoute des peuples en souffrance. Auteur, compositeur, interprètre, Ludovic Saëz, alias AZIM est aussi un rappeur d’une grande inspiration et il s’est arrêté quelques instants dans les bureaux virtuels d’Entre Algérie et France afin d’évoquer ses racines.

1-A quand remonte l'installation de votre famille en Algérie?

Du côté de ma grand-mère (E. CRIADO : mi-français de souche / mi-espagnols), à priori, ils étaient en Algérie depuis le début de la colonisation. La famille de mon grand-père (E. SAEZ) a quitté le régime de Franco en Espagne pour l'Algérie..

2-Comment peut-on vivre en 2004 ses origines pieds-noires?

En ce qui me concerne je vis ça très bien. C'est une force, une particularité, une fierté presque. Mais avant tout j'ai le sentiment d'être un « Etre Humain »...avant même d'être Français, Breton ou fils de pieds-noirs Espagnol. Et puis c'est beaucoup moins dur aujourd'hui de défendre cette origine qu'il y a 30 ans. (quoi que j'ai quand même entendu quelques réflexions déplacées...)

3-Cinq mots pour définir l'Algérie...

Amer : Le goût dans la bouche que doivent avoir les Harkis sacrifiés par une France ingrate. (c'est pas la première fois et ça continue...Sait-on que l'Afrique a déjà remboursé quarte fois « sa dette » mais que les intérêts de cette dette sont aujourd'hui plus importants que l'emprunt lui-même!!!!?!?....Banquier dans une « Démocratie » c'est quand même un beau métier!!!)

Corruption : Ce ne sont pas les écrivains, intellectuels, journalistes et le peuple conscient de l'Algérie d'aujourd'hui qui me contrediront.

Cœur : L'Algérie est dans le cœur des Pieds-noirs mais aussi dans celui de leurs enfants qui n'y ont pourtant jamais mis les pieds.

Nucléaires : Pour les essais réalisés par la France après l'indépendance dans le Sahara Algérien et dans d'étranges circonstances. (Les essais nucléaires sont toujours mieux chez les autres que chez soi...Mr Chirac ne pourra pas dire le contraire)

Avenir : L'Algérie est un jeune pays. L'avenir est devant elle. Un fois qu'elle se sera émancipée de ses militaires dictateurs et de ses extrémistes. (Pour cela les démocraties ou prétendues comme telles devront arrêter de les soutenir...c'est pas gagné!)

4-Quel est l'aspect qui vous a le plus frappé au cours des récits qu'on pu vous faire vos parents ou grands-parents lors de leur vie en Algérie?

Ils parlent (et parlaient) de l'Algérie avec tellement de soleil dans les yeux ou la voix...j'y suis très sensible. J'ai, au travers des histoires contées, des images de plages, de paella, de pêche au rouget dans les rochers, de vignes, de « mauresques », de grandes étendues etc... et puis aussi des images sombres : Les valises, les bateaux, les pleurs, la Mort et le déchirement.

5-Les Pieds-Noirs avaient trouvé leur Eldorado en Algérie. Etes-vous toujours à la recherche du votre ou bien avez vous déjà trouvé votre Jardin d'Eden ?

Un Eldorado pour les pieds-noirs certainement. Mais c'était sûrement moins vrai pour les « indigènes-musulmans » de l'époque. (C'est sûrement pire aujourd'hui pour eux d'ailleurs!!).
En ce qui me concerne, mon pays (la France), a pris une drôle de direction. Nous sommes dans une période étrange et nous basculons irrémédiablement vers le gouffre dû « capitalisme-fasciste ». Beaucoup de gens ont pris conscience que leur mal-être est du au harcèlement et à la torture psychologique qu'exerce le nouveau système. (ceux qui hier ont perdu leurs privilèges tentent par tous les moyens de les récupérer...et ils y arrivent à grands pas). Mais là-haut, ils peuvent compter sur mon civisme pour entrer en résistance. Bien sur, ailleurs c'est pire, mais combien de temps avant de combler notre retard?...ou de perdre notre avance?

6-De Gaulle fut-il un dangereux irresponsable ou un fin tacticien?

Comme dit mon oncle, « ça dépend de quel côté on se place » et j'ajouterai même que ça dépend où l'on se fournit en livres d'histoire.  Au-delà de ça, en 39-45 ou en 62, De Gaulle a trahi les hommes qui s'engageaient pour la France. Il n'a eu aucun respect ni aucune pitié pour les hommes de l'Afrique qui ont offert leur vie au concept mensonger de la démocratie. On pourrait mettre tout ça en relation avec le match de foot France-Algérie ou la marseillaise fut sifflée. Des parents et grands-parents Arabes et Africains qui ont lutté au côté de la France (14-18, 39-45, l'Indochine) et quels remerciements?!... La trahison : Une fissure dans le cœur de certains qu'ils n'ont pas su exprimer et dont ils n'ont pas pu ni su se dégager. La honte d'avoir été trahis ; transmise inconsciemment à leurs enfants. Je n'excuse pas, j'essaie de regrouper des éléments pour comprendre, pour voir plus loin que les simples apparences... PS/ La trahison et le mensonge sont une délinquance qui laisse des traces autres que le vol d'autoradios (n'en déplaise à Sarkozy)

7-Vous-êtes musicien, auteur, compositeur, interprète. Votre culture Pied-Noir a t-elle une quelconque influence dans votre travail artistique ?

Jeune, j'ai souvent mis en avant mon côté « Pied-Noir-Espagnol » dans mes textes et mes revendications. Aujourd'hui cette particularité, je crois, est intégrée à ma personnalité. Mon « ultra sensibilité » a peut-être pour origine...mes origines. J'ai aussi eu un grand-père Breton du côté de ma maman qui était résistant pendant la 2ème guerre et tout ça fait qui je suis.

8-L'indépendance était-elle inévitable? Une communauté franco-algérienne vivant en harmonie aurait-elle tenue du rêve? Quelles auraient été selon vous les conditions pour qu'un tel drame puisse être évité ?

L'indépendance a permis à mon père de rencontrer ma mère et m'a permis de naître...alors!
De plus, pour moi, l'indépendance était inévitable. En tant, aussi, que petit fils de résistant Breton se serait un comble de dire le contraire. Mais je suis convaincu que tout aurait pu se passer autrement :  Beaucoup d'intellectuels musulmans avaient demandé à plusieurs reprises d'être intégrés à l'avenir de leur pays en devenant citoyens Français. On le leur a promis s'ils s'engageaient en 14-18. Ils ont servi de chair à canon puis la fin de la guerre venue on le leur à refusé (de sombres motifs pour toutes excuses). Rebelotte en 39-45. Après de nouvelles promesses et plusieurs milliers de sacrifiés on les renvoie à leur condition « d'indigène - musulmans ». Et des trahisons il y en eu d'autres mais pas forcement de la part des Pieds-Noirs en général (ce n'était pas l'Afrique du Sud et tous allaient dans les mêmes bus et les mêmes écoles...) mais plutôt des grands propriétaires terriens et des autorités Françaises (ma grand-mère m'a raconté que les autorités avaient demandé aux Pieds-noirs d'inscrire leurs enfants le plus tôt possible pour laisser un minimum de place vacantes aux musulmans...Certains élèves avaient alors 4 ans).  Comment pour toutes ces raisons ne pas comprendre l'engagement de certains et l'organisation souterraine, décousue et violente qui a découlé sur un drame? Qui est le plus responsable? Un jeune noyau indépendantiste à bout de nerfs et mal organisé ou une grande république Française qui paraît-il connaissait le sens des mots « liberté », « égalité » et « fraternité »? Quels étaient les véritables raisons de ce déchirement? Hélas, « L'histoire se répète et les hommes s'en moquent ». On le voit aujourd'hui avec les Etats-Unis, le pétrole en Irak et l'argent de la guerre. Une bonne propagande, des mensonges, l'appel au patriotisme de base de quelques extrémistes de tous bords et voilà le tour est joué! Bilan : Un grand massacre, de la torture, un chaos incommensurable et puis quelques uns qui récoltent les fruits de cette étrange moisson. Tous les mécanismes des « grandes » guerres semblent être les mêmes. Ca fait d'autant plus peur que le passé se répète sans qu'il ne serve d'exemple pour la construction de notre avenir. Et nos sociétés égoïstes ne vont pas arranger les choses...

9-Avez-vous un message à faire passer aux Algériens ?

Il suffirait qu'on s'aime
Il suffirait qu'on se pardonne
Il suffirait qu'on daigne
Il suffirait qu'on s'y adonne

10-Par quoi souhaiteriez-vous terminer votre témoignage ?

Mes amitiés chaleureuses à mon pote Ali Mouni, un Français comme moi, d'origine Algérienne avec qui je travaille et dont j'apprécie beaucoup la sincérité. Clin d'œil complice pour balayer avec dédain tous les extrémistes : capitalistes-fascistes, cathos-extrémistes évangélistes, partisans Sharon(iard) et tous barbus portant plus de 3 slips en même temps.

Vincent Bouba, 04 novembre 2004

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