jeudi 28 février 2008

Le journal d’un insurgé



Trente ans après l’Indépendance, le peuple algérien suffoquait sous une chape de plomb couleur kaki. Dans Journal d’un insurgé, Khelifa Benamara évoque cette période tourmentée. Un roman publié par l’Atelier de création libertaire.

Nous sommes dans le Bordj de Mesfara, un trou perdu entre steppe et désert. L’air y est saturé de poussière et de ressentiments. Gavés de superstitions et de prétentions ridicules, les habitants croient pourtant vivre dans le « nombril du monde ».

Lassés par la corruption du pouvoir militaire, les Algériens oseront un jour voter massivement pour l’ « opposition » lors d’élections municipales. Ils renouvelleront leur « audace » lors du premier tour d’élections législatives. Il n’y aura pas de second tour. L’état de siège est décrété. C’est alors la revanche des médiocres. Zarra, le garde champêtre, incarne l’esprit de vengeance des minus qui profitent de la situation pour régler leurs comptes... et ceux des générations précédentes.

Les rancunes et les haines sont tenaces dans ces bleds où l’on vit en vase clos. Pour bien faire sentir le poids de l’Histoire dans l’histoire contemporaine algérienne, l’auteur intercale des pages retraçant diverses périodes. Les plus anciennes, en début d’ouvrage, font référence au XIV e siècle ! On croisera ensuite les débuts de la colonisation, l’arrivée du progrès (le train), la lutte de libération, avant de revenir aux années où l’armée algérienne elle-même est devenue une nouvelle force d’occupation. De solides portraits d’hommes, de femmes et d’enfants alimentent les quatre « rangées » du livre où se télescopent turpitudes historiques, sociales et familiales. Dans ce contexte, la folie vient parfois frapper les esprits les plus fragiles.

Deux hommes, amis d’enfance, Khaled et Khatir, émergent du lot. Ils rêvent, chacun à leur manière, d’un avenir meilleur pour l’Algérie. Khaled est un fonctionnaire tiède et pleutre occupé à traquer les produits avariés. Khatir, « libertaire déboussolé », milite activement dans l’opposition.

Il passera dans la clandestinité après l’annulation des élections. Devenu « terroriste », il sera assassiné par l’armée. Le jour de l’enterrement de Khatir, Khaled reçoit par la poste le journal de son ami insurgé. Une liasse de feuilles manuscrites où Khatir revient sur ses douloureux choix militants pour lutter contre la lèpre kaki. Ultime témoignage d’amitié, ce courrier compromettant va mettre Khaled en danger.

Après avoir écrit divers ouvrages (romans, étude sur le maraboutisme, récit sur Isabelle Eberhardt...), l’auteur signe-là un livre complexe. Né en 1947 dans le sud-ouest algérien, Khelifa Benamara avait déjà mis des anars dans des postures inhabituelles. Tant pis pour les puristes. Dans La Parole étranglée, publié à Alger en 1990, deux personnages, un « communiste » et un « anarchiste » nommés Kropotkine et Bakounine conversaient sur le Pouvoir et l’Etat. « Je vis dans le sud et je suis un peu coupé du monde », réplique l’auteur en guise d’explication...

- Paco, journaliste professionnel, auteur de "Dansons la Ravachole", Editions libertaires, 2004

- Khelifa Benamara, Journal d’un insurgé, 194 pages, Atelier de création libertaire, 2005. 14 euros.

Paco, 16 septembre 2005

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