" Entre Algérie et France " donne cette semaine la parole à une métropolitaine qui a vécu durant deux ans en Algérie peu de temps après la guerre d'indépendance. Une " patos " livre son témoignage et ses sentiments sur la présence française de l'autre côté de la Méditerrannée et sur le peuple algérien ...
1- Comment avez-vous vécu la guerre d'Algérie en métropole ? Etiez-vous favorable à la présence française dans ce pays ?
Au début de la guerre, j’avais 10 ans ; à la fin de celle-ci : 18…. A cet âge-là, je n’étais pas «conscientisée » politiquement (évidemment !). La ville de province dans laquelle j’habitais était de 28 000 habitants. Je n’ai pas souvenir que cette quiétude provinciale ait été bouleversée par ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée. Mon entourage proche, ne l’a pas été non plus. Je savais, pourtant, qu’il y avait une guerre (même si, à l’époque, cela ne s’appelait pas comme cela !) par les actualités, au cinéma. Et c’est lors de la semaine des barricades que j’ai commencé à m’intéresser à ce qui se passait de l’autre côté et à la politique.
2- L'indépendance était-elle inévitable ?
Pour moi, à l’époque, oui sans restrictive. Je pensais que nous n’étions pas chez nous et
qu’il était normal que les Algériens veuillent se libérer.
3- Actuellement, quels sont vos sentiments à propos de ce conflit et de la présence des français en Algérie avant la guerre d'indépendance ?
Maintenant, avec le recul, quelques connaissances historiques supplémentaires, la fréquentation de « pieds noirs », une vraie réflexion, si je crois toujours qu’il y avait un sens naturel de l’histoire « des peuples à disposer d’eux mêmes », je sais aussi que notre histoire, dans cette région n’aurait pas dû se terminer de la sorte. Nous étions chez nous, aussi. Et puis, la majorité des Algériens voulait-elle vraiment notre départ ? Les Français (de quelque origine que ce soit) ont bien œuvré là-bas ; nous aurions dû pouvoir rester. Nous n’avons pas à rougir de notre passé en Algérie et nous n’étions pas de vilains colonisateurs… Mis à part quelques grands propriétaires terriens (qui n’ont pas dû revenir avec leur seule valise), que possédaient les autres Français ? Lorsque j’ai vécu en Algérie, de 1968 à 70, que restait-il de tout ce que nous avions accompli ? J’ai entendu des Algériens me dirent qu’ils nous regrettaient, que du temps de la France, ils vivaient mieux…
Et puis, anecdote : je travaillais dans un Consulat et, pour le 14 juillet, le drapeau flottait sur notre petit immeuble, un Algérien qui passait l’a salué (geste tout à fait sincère : il ne me voyait pas). Et aussi cette autre : en 67, j’étais en petite Kabylie dans le cadre d’un chantier de travail ; avec mes 3 collègues français, nous sommes allés dans la montagne, (accompagnés de kabyles) nous promener. Nous sommes arrivés dans un douar auquel nulle route ne parvenait : que dire de ce vieillard, assis, face à la montagne avec toutes ces médailles sur son burnous et sa fierté d’avoir servi la France (1ère guerre mondiale) ? Là encore, ce n’était pas pour la « frime », qui pouvait savoir que nous viendrions là ?Qu’ont gagné les Algériens à notre départ ? Il suffit de voir comment « leur révolution » leur a été confisquée. Quelle liberté est la leur ? Quelle vie, aussi ?
4- Quelles auraient été selon vous les solutions que l'on aurait pu envisager pour que l'Algérie et la France conservent un destin commun ?
Difficile question. Des erreurs ont été commises. Avec un côté irréparable. Pourquoi le décret Crémieux n’a-t-il pas accordé la citoyenneté française aux musulmans ? Pourquoi des français musulmans ? et pas de Français « tout court » ? Pourquoi pas le double collège ? Pourquoi le refus de réformes ? Peut-être simplement, une égalité de traitement aurait-elle suffit ? Peut-être est-ce un peu simpliste comme raisonnement mais je ne suis ni historienne ni politologue !
5- Que pensez-vous de De Gaulle ?
Mes sentiments sont ambigus. II était pour moi, celui qui avait sauvé la France… donc celui qui réglerait le « problème algérien ». Aujourd’hui, Je pense qu’il a trahi la confiance que lui avait accordée les Français d’Algérie. Il a quand même dit : « vive l’Algérie Française ». Etait-il sincère, emporté par l’enthousiasme ? Ou opportuniste ? Ou menteur ? Il aurait sans doute pu être le seul à peut-être éviter le cataclysme final. Avec son aura, il aurait dû pouvoir être la passerelle entre les uns et les autres. Pourquoi n’en a-t-il rien été ? Et que dire de l’abandon dans lequel a été laissé la population après le cessez-le-feu ? S’il a été un grand Français, ce n’était pas au moment de la guerre d’Algérie.
6- Pourriez-vous définir l'Algérie en 5 mots ?
Mon Algérie à moi date de 68 à 70. Il restait encore des Français là-bas qui n’étaient pas partis en 62. Amitié. Fraternité. Art de vivre. Soleil (dans le cœur).
7- Que pensez-vous du FLN ?
Comme tous les mouvements dits de libération : quelques idéalistes et la plupart des autres souhaitant s’approprier des richesses créées par d’autres hommes. Des méthodes terroristes horribles. Un parti ayant trompé son peuple, l’ayant entraîné dans une grande misère où la corruption semble régner en maître (depuis l’indépendance), n’ayant pas vraiment donné la liberté aux Algériens. Des politiques devenant des traîtres à ce qu’ils prétendaient des idéaux révolutionnaires.
8- Quels sont vos sentiments à propos de l’OAS ?
L’OAS était une organisation terroriste donc je désapprouve ses méthodes. Nulle cause ne justifie la mort, la mutilation d’innocents, la destruction. Les Français d’Algérie se sont raccrochés à l’OAS comme à un ultime espoir et cette organisation les a fourvoyés. L’OAS a rendu inévitable le départ des Français : après les attentats, les assassinats, plus rien ne semblait possible. La peur engendrant la peur et la haine, la haine. Au-delà de cette désapprobation sans ambiguïté, je ne peux pas m’empêcher de penser aux hommes, aux soldats perdus, à ceux qui ont dû fuir sur d’autres continents, à ceux que l’on a passé par les armes ; la plupart aimaient vraiment l’Algérie (bien qu’il y ait eu des individus jouant plus leur carte personnelle que celle de la communauté « pieds noirs »). La cause était louable mais les moyens détestables. Quel gâchis.
9- Avez-vous un message à faire passer aux Algériens ?
Rappelez-vous l’héritage laissé par les Français et voyez ce qu’il en reste maintenant. Ne succombez pas aux sirènes de l’intégrisme.
10- Par quoi souhaiteriez-vous terminer votre témoignage ?
A tous ceux qui ont vécu en Algérie : transmettez à vos enfants, votre héritage moral et spirituel afin que ceux-ci n’oublient pas ce qu’étaient leurs racines et l’œuvre accomplie par vous et vos anciens. Expliquez-leur qu’ils n’ont à rougir de rien.
Vincent Bouba, 07 juillet 2004
1- Comment avez-vous vécu la guerre d'Algérie en métropole ? Etiez-vous favorable à la présence française dans ce pays ?
Au début de la guerre, j’avais 10 ans ; à la fin de celle-ci : 18…. A cet âge-là, je n’étais pas «conscientisée » politiquement (évidemment !). La ville de province dans laquelle j’habitais était de 28 000 habitants. Je n’ai pas souvenir que cette quiétude provinciale ait été bouleversée par ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée. Mon entourage proche, ne l’a pas été non plus. Je savais, pourtant, qu’il y avait une guerre (même si, à l’époque, cela ne s’appelait pas comme cela !) par les actualités, au cinéma. Et c’est lors de la semaine des barricades que j’ai commencé à m’intéresser à ce qui se passait de l’autre côté et à la politique.
2- L'indépendance était-elle inévitable ?
Pour moi, à l’époque, oui sans restrictive. Je pensais que nous n’étions pas chez nous et
qu’il était normal que les Algériens veuillent se libérer.
3- Actuellement, quels sont vos sentiments à propos de ce conflit et de la présence des français en Algérie avant la guerre d'indépendance ?
Maintenant, avec le recul, quelques connaissances historiques supplémentaires, la fréquentation de « pieds noirs », une vraie réflexion, si je crois toujours qu’il y avait un sens naturel de l’histoire « des peuples à disposer d’eux mêmes », je sais aussi que notre histoire, dans cette région n’aurait pas dû se terminer de la sorte. Nous étions chez nous, aussi. Et puis, la majorité des Algériens voulait-elle vraiment notre départ ? Les Français (de quelque origine que ce soit) ont bien œuvré là-bas ; nous aurions dû pouvoir rester. Nous n’avons pas à rougir de notre passé en Algérie et nous n’étions pas de vilains colonisateurs… Mis à part quelques grands propriétaires terriens (qui n’ont pas dû revenir avec leur seule valise), que possédaient les autres Français ? Lorsque j’ai vécu en Algérie, de 1968 à 70, que restait-il de tout ce que nous avions accompli ? J’ai entendu des Algériens me dirent qu’ils nous regrettaient, que du temps de la France, ils vivaient mieux…
Et puis, anecdote : je travaillais dans un Consulat et, pour le 14 juillet, le drapeau flottait sur notre petit immeuble, un Algérien qui passait l’a salué (geste tout à fait sincère : il ne me voyait pas). Et aussi cette autre : en 67, j’étais en petite Kabylie dans le cadre d’un chantier de travail ; avec mes 3 collègues français, nous sommes allés dans la montagne, (accompagnés de kabyles) nous promener. Nous sommes arrivés dans un douar auquel nulle route ne parvenait : que dire de ce vieillard, assis, face à la montagne avec toutes ces médailles sur son burnous et sa fierté d’avoir servi la France (1ère guerre mondiale) ? Là encore, ce n’était pas pour la « frime », qui pouvait savoir que nous viendrions là ?Qu’ont gagné les Algériens à notre départ ? Il suffit de voir comment « leur révolution » leur a été confisquée. Quelle liberté est la leur ? Quelle vie, aussi ?
4- Quelles auraient été selon vous les solutions que l'on aurait pu envisager pour que l'Algérie et la France conservent un destin commun ?
Difficile question. Des erreurs ont été commises. Avec un côté irréparable. Pourquoi le décret Crémieux n’a-t-il pas accordé la citoyenneté française aux musulmans ? Pourquoi des français musulmans ? et pas de Français « tout court » ? Pourquoi pas le double collège ? Pourquoi le refus de réformes ? Peut-être simplement, une égalité de traitement aurait-elle suffit ? Peut-être est-ce un peu simpliste comme raisonnement mais je ne suis ni historienne ni politologue !
5- Que pensez-vous de De Gaulle ?
Mes sentiments sont ambigus. II était pour moi, celui qui avait sauvé la France… donc celui qui réglerait le « problème algérien ». Aujourd’hui, Je pense qu’il a trahi la confiance que lui avait accordée les Français d’Algérie. Il a quand même dit : « vive l’Algérie Française ». Etait-il sincère, emporté par l’enthousiasme ? Ou opportuniste ? Ou menteur ? Il aurait sans doute pu être le seul à peut-être éviter le cataclysme final. Avec son aura, il aurait dû pouvoir être la passerelle entre les uns et les autres. Pourquoi n’en a-t-il rien été ? Et que dire de l’abandon dans lequel a été laissé la population après le cessez-le-feu ? S’il a été un grand Français, ce n’était pas au moment de la guerre d’Algérie.
6- Pourriez-vous définir l'Algérie en 5 mots ?
Mon Algérie à moi date de 68 à 70. Il restait encore des Français là-bas qui n’étaient pas partis en 62. Amitié. Fraternité. Art de vivre. Soleil (dans le cœur).
7- Que pensez-vous du FLN ?
Comme tous les mouvements dits de libération : quelques idéalistes et la plupart des autres souhaitant s’approprier des richesses créées par d’autres hommes. Des méthodes terroristes horribles. Un parti ayant trompé son peuple, l’ayant entraîné dans une grande misère où la corruption semble régner en maître (depuis l’indépendance), n’ayant pas vraiment donné la liberté aux Algériens. Des politiques devenant des traîtres à ce qu’ils prétendaient des idéaux révolutionnaires.
8- Quels sont vos sentiments à propos de l’OAS ?
L’OAS était une organisation terroriste donc je désapprouve ses méthodes. Nulle cause ne justifie la mort, la mutilation d’innocents, la destruction. Les Français d’Algérie se sont raccrochés à l’OAS comme à un ultime espoir et cette organisation les a fourvoyés. L’OAS a rendu inévitable le départ des Français : après les attentats, les assassinats, plus rien ne semblait possible. La peur engendrant la peur et la haine, la haine. Au-delà de cette désapprobation sans ambiguïté, je ne peux pas m’empêcher de penser aux hommes, aux soldats perdus, à ceux qui ont dû fuir sur d’autres continents, à ceux que l’on a passé par les armes ; la plupart aimaient vraiment l’Algérie (bien qu’il y ait eu des individus jouant plus leur carte personnelle que celle de la communauté « pieds noirs »). La cause était louable mais les moyens détestables. Quel gâchis.
9- Avez-vous un message à faire passer aux Algériens ?
Rappelez-vous l’héritage laissé par les Français et voyez ce qu’il en reste maintenant. Ne succombez pas aux sirènes de l’intégrisme.
10- Par quoi souhaiteriez-vous terminer votre témoignage ?
A tous ceux qui ont vécu en Algérie : transmettez à vos enfants, votre héritage moral et spirituel afin que ceux-ci n’oublient pas ce qu’étaient leurs racines et l’œuvre accomplie par vous et vos anciens. Expliquez-leur qu’ils n’ont à rougir de rien.
Vincent Bouba, 07 juillet 2004
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