jeudi 21 février 2008

Regard désabusé sur l'Algérie



Entre illusions, désillusions, et espoirs, le cœur de l'écrivain algérien Bouzid Benkherouf balance. L'Algérie a raté son rendez-vous et Benkherouf déverse toute sa rage sans complaisance. Dans « Algérie : illusions, désillusions et espoirs » il crie son malaise, dénonce les injustices, la corruption, et les abus tel un justicier sans peur et sans reproche ! Son livre est truffé d'exemples des plus rocambolesques, dont Franz Kafka se serait certainement délecté. Angoisses, incertitudes, stress, multiples duels à la Don Quichotte, le peuple algérien lutte afin de connaître un jour de meilleures conditions de vie...

1- Cinq mots commençant par B vous définissant bien ?

Le premier qualificatif qui me fut attribué par mon entourage fut : brusque ! Je pense que je le mérite amplement de par mon caractère émotif, passionné et surtout nerveux même si au fur et à mesure que les années passent, j'ai appris à m'assagir et à atténuer mon tempérament fougueux…Etant serviable de nature, franc, trop audacieux parfois, mes collègues de bureau disent que je suis brave….Bosseur ! Assurément oui ! Car je travaille beaucoup et j'ai cette manie du travail bien fait…Ayant appris dès mon plus jeune âge à être généreux, je partage sans rien attendre en retour et mes voisins disent que je suis bienveillant…De par ma capacité à affronter certaines situations très difficiles dans mon travail, étant lucide et sachant garder mon sang-froid, les Responsables de l'entreprise qui m'emploient ont souvent le terme de brillant à mon égard : ce que j'estime être un peu excessif car n'ayant pas le sentiment de faire des choses extraordinaires. J'essaie seulement de justifier la confiance qui est placée en moi et d'être à la hauteur des responsabilités qui m'incombent.

2- Pouvez-vous définir votre ouvrage en quelques phrases ?

Vous me demandez quelque chose de difficile. J'ai voulu, à ma manière, contribuer au débat sur la situation actuelle de l'Algérie en abordant des thèmes ayant trait à la vie quotidienne. J'attache beaucoup d'importance au vécu ; je suis un homme de terrain et j'ai eu la chance de fréquenter toutes les couches sociales algériennes. Beaucoup de gens sont de mon avis ; d'autres m'ont qualifié d'idéaliste…Peut-être…En fait, mon ouvrage est un « cri » de rage si je peux le qualifier ainsi…

3- N'est-il pas dangereux de dire tout haut ce que l'on pense en Algérie ?

Non . Je ne crois pas…Du moins, plus maintenant…Cette liberté de ton que nous envient beaucoup de pays du monde arabe, à commencer par nos voisins immédiats que sont la Tunisie et le Maroc, est le fruit d'une longue lutte…Aujourd'hui, en Algérie, à condition de rester poli, vous pouvez vous adresser au maire de votre commune, au policier ou au gendarme, de manière directe et sans langue de bois…Les mentalités ont beaucoup évolué dans ce domaine…A titre d'anecdote et pour bien illustrer cette liberté de ton, je vous livre une blague populaire qui a fait le tour de l'Algérie : savez-vous quelle est la différence entre BOUMEDIENE et BOUTEFLIKA ? Eh bien avec Boumediene, c'était ''MOTUS ET BOUCHE COUSUE'', dorénavant avec Bouteflika, c'est ''CAUSE TOUJOURS''…

4- N'avez-vous pas l'impression que votre combat est un combat perdu d'avance ?

Sourire…Comme je vous l'ai déjà dit, je suis très lucide. Je n'ai jamais eu la prétention de refaire l'Algérie ou même d'être en mesure de bousculer les mentalités arrogantes de nos gouvernants ; surtout celles de nos gestionnaires locaux. Mon combat, comme vous le dites, consistait seulement à faire comprendre à nos responsables que nous sommes au 21ième siècle, qu'à l'ère de l'internet, il n'est plus possible de nous mentir parce que nous avons appris à nous documenter, nous savons tout ce qui se passe dans le monde. Qu'il serait grand temps qu'on nous reconnaisse enfin un droit de regard sur la gestion de la cité. Le problème en Algérie, c'est qu'il n'y a jamais eu de débats contradictoires dignes de ce nom ! NOUS AVONS TOUJOURS ETE MIS DEVANT LE FAIT ACCOMPLI, QUE CELA NOUS PLAISE OU NON ! Le seul espoir que j'émets est que nos enfants connaissent une vie meilleure.

5- Pourquoi avoir choisi de vider son sac ?

Un vieux proverbe arabe dit : '' Qui veut faire quelque chose trouve un moyen ; qui ne veut rien faire trouve une excuse''. Parce que trop, c'est trop : ''on '' nous prend pour des ignares. ''On'' nous méprise sans aucune retenue. L'arrogance et le dédain de nos gouvernants sont tels que parfois, il suffit d'un rien pour qu'une émeute se déclenche (plusieurs émeutes ont éclaté en Algérie à cause de la gestion médiocre des gouvernants locaux mais aussi et surtout en raison du mépris affiché envers les populations). Cela a un nom, chez nous on appelle ça ''HOGRA'' : mélange d'injustice et de mépris…L'une des conséquences de cette ''HOGRA' est le taux de suicide en Algérie qui prend des proportions alarmantes…

6- Quel est le mot ou la citation qui vous hante constamment ?

Une citation de FERHAT ABBAS qui a dit en 1962 : ''L'Algérie jouait le rôle d'une femme adultère ! Mariée publiquement à l'Islam, elle couchait discrètement dans le lit de Staline''…Je pense que cette citation n'était pas dénuée de fondement et que son auteur, UN GRAND HOMME, savait de quoi il parlait

7- En quoi l'Algérie a raté son rendez-vous ?

L'Algérie - et ses dirigeants - n'ont pas pu ou n'ont pas su saisir la chance extraordinaire qui s'est offerte à eux au lendemain de l'indépendance ; je ne connais rien de cette période, si ce n'est que d'avoir lu plusieurs ouvrages s'y rapportant . Cela dit, étant positionnée de manière favorable au plan géographie (aux portes de l'Europe) et passage obligé vers l'Afrique, l'Algérie aurait pu « profiter des erreurs » des grandes démocraties occidentales qui se sont bâties sur des siècles…

8- Que signifie pour vous le mot « rencontre » ?

Beaucoup de choses : amitié, partage, échange de connaissances, débats contradictoires, culture. Ce mot me fait toujours penser à la théorie de la relativité. Vous pouvez avoir un voisin pendant trente ans et il ne restera qu'un voisin. Vous pouvez prendre l'avion pour une destination quelconque, nouer la conversation avec votre voisin de compartiment, vous découvrir des affinités, des points communs et au bout de deux heures, vous deviendrez les meilleurs amis du monde…C'est ma conception du mot rencontre…

9- Bouzid Benkherouf en 5 dates.

Le 1er octobre 1992, date de mon mariage. Le 31 aôut 1994, naissance de ma fille Yamina. Le 1er février 1997, naissance de mon fils Mohsen. Le 24 novembre 1998, naissance de mon fils Samy. Et le 03 juin 2003, jour de la parution de mon livre.

10- Quel serait votre projet littéraire le plus fou ?

Ce serait de faire un livre sur les différents aspects cachés de la guerre d'Indépendance. Je pense que l'on nous cache beaucoup de choses sur les hommes et les femmes qui se sont battus pour ce pays ainsi que les circonstances dans lesquelles l'Indépendance a été obtenue. Malheureusement, c'est un travail de longue haleine qui nécessite beaucoup de travail et de patience…

11- Si vous exerciez de hautes responsabilités à la tête de votre pays, quelle serait la première décision que vous prendriez ?

Indiscutablement, de modifier le week-end (Jeudi/vendredi) pour s'aligner sur nos voisins Tunisiens et Marocains qui adoptent le week-end universel (Samedi/Dimanche). Je ne comprends toujours pas cette aberration qui engendre des pertes considérables pour l'économie algérienne…

12- Je suis fils et petit fils de pieds noirs d'Alger qui ont quitté et tout laissé derrière eux en Algérie. Avez-vous un message à faire passer à cette communauté déchirée ?

Je voudrais dire à cette communauté de ne garder que les bons souvenirs. De regarder vers l'Avenir et d'être serein, aussi difficile que soit cet effort. Remuer le passé ne servira à rien si ce n'est que raviver des blessures. Il faut penser à les cicatriser dans un premier temps en revenant visiter les rues de son enfance, ils seront les bienvenus, je n'en doute pas un seul instant…Apaiser son cœur et son esprit…J'ai côtoyé cette communauté de très près et le courant est toujours très bien passé. Il n'y avait pas de différence mais énormément de tolérance : s'accepter l'un et l'autre sans cri, sans heurt , sans haine, et ce, qu'il soit juif, chrétien ou musulman. D'ailleurs, un ancien instituteur originaire d'El Eulma (Ex-Saint Arnaud) me citait souvent cette phrase d'Antoine de Saint Exupéry : ''Si tu es différent de moi, loin de me léser, tu m'enrichis''…

13- Quel est votre peintre préféré ?

Alphonse Etienne Dinet . J'adore son tableau ''LA NUIT DU MOULOUD''. Pardon pour tous les autres Monuments de la peinture mais c'est ainsi…

14- Quelles sont vos peurs ?

Peur de ne pas voir mes enfants grandir. Peur de ne pas être à la hauteur de leurs espérances…

15- Que peut-on souhaiter à Bouzid Benkherouf pour son avenir ?

Le bonheur en famille, mais aussi et surtout une très bonne santé.

16- Ca vous inspire quoi l'élection de Bouteflika ?

La réélection vous voulez dire : elle était prévisible, certains disent même ''inévitable''. En ce qui me concerne, je ne pense pas qu'il y aura de grands changements. Je l'attends sur du concret tel qu'il l'a promis lors de son court discours du vendredi 09/04/2004. Il y a tellement de choses à faire…

17- Un mot, un seul pour définir l'Algérie ?

Regrets…

18- Alger ou Ouled Khelifa ?

Je vis à Alger car c'est là que se trouve mon travail. Ouled Khelifa, c'est différent : c'est mon village natal et je m'y rends aussi souvent que je peux (3 à 4 fois dans l'année). C'est l'air pur, la nature, la convivialité.

19- Quel est l'artiste algérien que vous souhaiteriez faire découvrir aux Français ?

Vous le connaissez sans doute déjà, il s'agit de Fellag : homme de théâtre, grand humouriste et écrivain à ses heures perdues…Il est très fin - avec un humour féroce - dans sa manière de décrire la réalité sociale algérienne dans ses scketches…

20- Par quoi souhaiteriez-vous terminer cet E-terview ?

Par cette citation d'Oscar Wilde : ''L'expérience est le nom que chacun d'entre nous donne à ses erreurs''. J'espère que nos enfants vivront dans un monde meilleur et moins brutal…Merci de m'avoir permis de m'exprimer.

Vincent Bouba, 30 avril 2004

Aucun commentaire: