En publiant La Vieille Chéchette, les éditions Albin Michel Jeunesse ravivent une face méconnue de Louise Michel. En plus de ses mémoires, de ses lettres, de ses articles, de ses poèmes…, l’instit anar a aussi écrit des contes pour les enfants.
On connaît la grande figure de la Commune de Paris. On connaît la propagandiste acharnée qui porta les idées anarchistes jusqu’au bout du bout de l’Algérie. On connaît moins le métier premier de Louise Michel (1830-1905). « En janvier 1853, je commençais ma carrière d’institutrice à Audeloncourt (Haute-Marne) où j’avais une partie de ma famille maternelle », explique-t-elle dans ses Mémoires. Une carrière qui allait prendre quelques chemins buissonniers au fil d’une vie militante très tourmentée. Le brevet de capacité en poche, mais refusant de prêter serment à l’Empire, l’institutrice républicaine exerça pendant trois ans dans une « école libre » de jeunes filles. Zélée et exaltée, Louise Michel n’hésitait pas à faire chanter La Marseillaise dans sa classe avant l’étude du matin et après l’étude du soir. « En reprenant le chœur nous avions souvent, les enfants et moi, des pluies de larmes tombant des yeux », avoue Louise. Sa passion politique et ses méthodes pédagogiques actives n’étaient guère appréciées par les amis de l’Ordre. Louise la « rouge » fut obligée d’émigrer sur Paris où elle occupa plusieurs emplois d’institutrice privée entre 1856 et 1871.
Son amour de l’enseignement, Louise le manifesta également dans les moments les plus inattendus. Déportée en Nouvelle-Calédonie en 1873, la Communarde donna par exemple des cours aux enfants des déportés et à ceux des colons français de Nouméa. « J’étais à cette époque chargée du dessin et du chant dans les écoles de filles de la ville », se souvient Louise. Plus étonnant encore, le dimanche, la « Dame aux chats » enseignait à des « nuées de Canaques ». « Il faut pour les Canaques, des méthodes mouvementées ; n’en faut-il pas pour tout esprit jeune, et nous-mêmes n’apprenons-nous pas plus vite ce qui nous arrive par des couleurs dramatiques que par des nomenclatures arides », observe la pédagogue. Louise partageait aussi ses connaissances avec les Kanaks rebelles (tout en apprenant beaucoup d’eux). Une démarche exceptionnelle dans un contexte colonial et raciste qui gangrenait l’esprit de certains Communards.
Amnistiée le 11 juillet 1880, Louise Michel revint en France le 4 septembre. Elle laissait derrière elle des projets d’écoles de brousse, mais eut la satisfaction d’être la première institutrice laïque à interpréter avec ses élèves la première Marseillaise autorisée sur la place des Cocotiers de Nouméa. « Les enfants rangés en cercle nous entouraient. Après le premier coup de canon, il se fit un tel silence que le cœur cessait de battre », écrit Louise dans ses Mémoires.
Le pillage de boulangeries par le peuple affamé, en mars 1883, conduisit de nouveau la révolutionnaire en prison. L’infatigable instit profita de son temps libre en cellule pour écrire quelques projets pédagogiques. Graciée en 1886, Louise Michel anima de nombreux meetings anarchistes avant de se réfugier à Londres où elle fonda, en 1892, une International School pour les enfants d’exilés français en difficulté dans les écoles anglaises. « L’autorité doit céder la place à la liberté » disait le projet d’école. « Quand j’arrivais à ma classe et que je voyais toutes ces têtes brunes ou blondes, penchées sur leurs pupitres, je me rappelais, non sans émotion, les jours heureux qui avaient précédé la Commune. »
Louise Michel avait montré son intérêt pour les contes en publiant Légendes et chansons de geste canaques dans les Petites Affiches de Nouméa en 1875 (rééditées en 1999 par les éditions Grain de sable). Avec le soutien d’Henri Rochefort, elle publia chez l’éditeur Kéva, en 1884, Contes et légendes, sept contes philosophiques écrits pour ses élèves. La Vieille Chéchette est l’un de ses contes jamais réédités. On découvre l’histoire d’une vieille femme très laide vivant seule dans un bois. La pauvre folle se nourrit de ce que la nature lui offre et de quelques restes trouvés dans le village voisin. Les méchants se moquent d’elle. Ses seuls amis sont les animaux sauvages et une veuve mère de trois enfants. La Vieille Chéchette aime bercer les petits dans ses longs bras velus. Les enfants jouent avec elle comme avec un chien fidèle. Et puis, c’est le drame. La maison de la veuve est la proie des flammes. Chéchette se jette dans le brasier pour sauver un enfant. Chéchette meurt brûlée. L’enfant survit. La dernière phrase du conte de Louise Michel dit : « Ne vous moquez jamais des fous ni des vieillards. »
Ce livre est destiné aux enfants à partir de 8 ans. Il serait sans doute bon de l’offrir également à certains adultes, bien placés au gouvernement, qui semblent n’avoir que du mépris pour les fous et pour les vieillards…
Louise Michel, La Vieille Chéchette, éditions Albin Michel Jeunesse, 32 pages 207mm x 248 mm, illustrations de Stéphane Blanquet. 12,90€.
Paco, mars 2010