Les premières secondes du film nous ramènent au 16 décembre 1871. Ce jour-là, Louise Michel passait en procès pour son ardente participation à la Commune de Paris (18 mars – 28 mai 1871). Les bouchers versaillais n’étaient pas rassasiés avec les tueries de la Semaine sanglante qui avaient massacré le peuple montant « à l’assaut du ciel », comme disait Karl Marx. Les survivants risquaient gros. « J'appartiens tout entière à la révolution sociale, et je déclare accepter la responsabilité de mes actes, lança Louise Michel à ses juges. Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! » Louise fut condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie.
Après un long périple sur le Virginie, la déportée Louise Michel arriva sur la presqu’île de Ducos en 1873. Henri Rochefort et Nathalie Lemel étaient du voyage. D’autres communards les avaient précédés. Parmi eux, Charles Malato, un journaliste anarchiste. Des chants révolutionnaires réconfortaient les vaincus : « C’est la canaille, et bien j’en suis ! » En métropole, c’était la débandade. Gustave Flaubert, Théophile Gauthier, Georges Sand et consorts crachaient sur la Commune. « Ces clubs d’écrivains, tous des lâches comme toujours », pestait Rochefort.
Le décor calédonien est paradisiaque, mais pas pour tout le monde. Brutalités, exécutions, privations de nourriture, censure… rythmaient les semaines des déporté-e-s. Habillée en noir, « parce que je porte le deuil de la Commune », Louise Michel soignait les hommes, les animaux… et les plantes. Elle affrontait militaires et curés, « l’homme ne sera jamais libre tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de sa raison ». Les déportés politiques qui prêtaient main forte à l’armée pour mater la révolte des Kanaks la remplissaient aussi d’horreur et de dégoût, « parfois je désespère de l’être humain ».
Amie et solidaire des Kanaks, Louise apprit leur langue et leurs coutumes. Elle alla jusqu’à publier des légendes kanakes. Son rêve, inaccompli, était d’ouvrir une classe mêlant enfants européens et mélanésiens. Les mentalités n’étaient pas prêtes. À la fin de son séjour forcé, consacrant sa semaine aux écoliers blancs de Nouméa, la « dame aux chats » réserva donc ses dimanches aux « nuées » de jeunes kanaks. Elle se lia également avec les révoltés kabyles déportés.
De son exil, Louise écrivait beaucoup. À Victor Hugo avec qui elle correspondait depuis sa jeunesse. À Georges Clémenceau qui milita pour l’amnistie des Communards... avant de devenir ministre de l’Intérieur, le furieux Tigre qui réprima dans le sang la révolte des vignerons en 1907 et les grévistes de Draveil en 1908. Le film nous la montre écrivant aussi au président de la République pour l’insulter tous les 28 du mois en mémoire de son compagnon Théophile Ferré qui fut exécuté le 28 novembre 1871.
Après l’amnistie générale de juillet 1880, la colère de Louise Michel ne se calma pas. Entre congrès et meetings anarchistes européens, manifestations de chômeurs et séjours en prison, éditions de livres et rédaction d’articles, sa vie fut terriblement tumultueuse. Louise mourut à Marseille le 5 décembre 1905 au retour d’une série de conférences en Algérie. Promesse faite aux insurgés kabyles rencontrés en Nouvelle-Calédonie. Cent vingt mille personnes bouleversées suivirent son enterrement. Révolutionnaire et romantique, l’Insoumise assurait que « la révolution sera la floraison de l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur ».
« J’ai l’impression que la Commune, au sens large, et Louise Michel en particulier, résonnent très fort aujourd’hui, souligne Solveig Anspach. Elle dit des choses qui font écho à ce que vivent aujourd’hui les gens au quotidien, pas seulement les femmes, mais les gens dans la misère, les ouvriers, les travailleurs ou les sans-papiers. »
Tournée en Nouvelle-Calédonie (un choix symbolique très fort) avec des acteurs Kanaks dans le rôle de leurs ancêtres, dont Daoumi, voici une fiction intelligente qui frôle d’assez près la réalité d’hier... et d’aujourd’hui. « Ce n'est pas une miette de pain, c'est la moisson du monde entier qu'il faut à la race humaine, sans exploiteur et sans exploité », affirmait la rebelle finement incarnée par Sylvie Testud. En 2010, les aspirations égalitaires de la militante qui n’était ni vierge ni rouge résonnent encore dans ce monde hanté par des pouvoirs médiocres et criminels. « Le pouvoir est maudit et c'est pour cela que je suis anarchiste », résumait Louise Michel. CQFD.
Paco, 27 février 2010.
http://www.lepost.fr/article/2010/02/26/1961883_sylvie-testud-ravigote-les-combats-de-louise-michel.html