Avec le livre "Albert Camus et les libertaires (1948-1960)", les éditions Egrégores offrent un document très convaincant sur l’engagement du Prix Nobel de littérature 1957 aux côtés des anarchistes.
Dédié chaleureusement à Catherine Camus, l’ouvrage regroupe de nombreux textes de et sur Camus rassemblés et commentés par Lou Marin. Depuis trente ans, Lou Marin milite au sein d’un courant anarchiste non-violent de langue allemande, Graswurzelrevolution, continuateur de la revue française Anarchisme et non-violence que l’on retrouve à présent sur Internet sous l’appellation Anarchisme et non-violence 2. Pour les anarchistes, Albert Camus est une référence incontournable. En particulier pour celles et ceux qui sont touché-e-s par les réflexions de Camus sur la violence révolutionnaire. Comme le rappelle cet ouvrage, l’auteur de L’Homme révolté, admirateur de Gandhi, rejetait toutes les violences. « Je crois que la violence est inévitable (…) Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence », expliquait-il.
C’est en rencontrant Rirette Maîtrejean (1887-1968), co-éditrice du journal L’Anarchie avec Victor Kibaltchich (alias Victor Serge), qu’Albert Camus fut sensibilisé à la pensée libertaire. Rirette était correctrice au journal bourgeois Paris Soir. Albert y était rédacteur et secrétaire de rédaction. Au marbre comme pendant les mois d’exode, en 1940, avec Rirette et des typos, correcteurs et imprimeurs souvent anarcho-syndicalistes, Camus eut le temps de découvrir les traditions libertaires en France. Peu à peu, Camus, le « camarade absolument parfait », fit la connaissance des anarchistes responsables de diverses publications françaises (Le Monde libertaire, Défense de l’Homme, Liberté, Le Libertaire, Témoins…) ou étrangères (Volonta, Solidaridad Obrera, Arbetaren, Die freie Gesellschaft, Reconstruir, Babel…). Camus collabora régulièrement à certains de ces journaux et rencontra ses animateurs. Il profita même de son séjour à Stockholm, lors de la remise de son prix Nobel en 1957, pour se faire interviewer par Arbetaren et visiter les locaux de la Sveriges Arbetaren Centralorganisation (SAC), l’organisation anarcho-syndicaliste suédoise.
Dans les années 1930, Albert Camus semblait avoir déjà des prédispositions pour les analyses libertaires. Il s’était fait viré du parti communiste, en 1937, parce qu’il soutenait Messali Hadj, leader du Mouvement nord-africain (MNA), parti rival du FLN qui entretenait des contacts avec le mouvement libertaire et les syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne (où Camus allait écrire). Le drame espagnol touchait aussi particulièrement Camus le méditerranéen. Appels, articles et meetings se succédèrent pour venir en aide aux militants antifranquistes. En février 1952, salle Wagram à Paris, il participa à un meeting pour soutenir cinq militants de la CNT condamnés à mort. Malgré les querelles qui faisaient rage entre eux et Camus, André Breton et Jean-Paul Sartre avaient fait le déplacement.
Albert Camus s’exprima régulièrement dans Témoins, revue antimilitariste et libertaire qui était ouverte à tous les courants anars. Son antimilitarisme l’engagea naturellement aux côtés de l’anarchiste Louis Lecoin, dans les colonnes de la publication Défense de l’Homme, mais aussi dans la lutte pour l’obtention d’un statut en faveur des objecteurs de conscience. Écrit par Camus, le projet de statut fut approuvé par les membres du comité de secours aux objecteurs de conscience et diffusé par les militants pacifistes et libertaires, notamment dans un numéro spécial de la revue Contre-courant.
Textes à l’appui, l’ouvrage revient sur les polémiques provoquées par L’Homme révolté, sur les débats dans Témoins ou dans La Révolution prolétarienne. Il est question encore des Groupes de liaison internationale (GLI), du soutien apporté à Maurice Laisant lors du procès fait aux Forces libres de la Paix, des campagnes en faveur de Gary Davis (aviateur de l’US Air Force) ou contre la peine de mort, des réactions de Camus au moment des émeutes de Berlin-Est en 1935, de Poznan en 1956, de la révolution hongroise…
Textes politiques et philosophiques se succèdent pour cerner le Camus qui affirmait : « Bakounine est vivant en moi ». Mais, parmi tous ces textes, c’est sans doute le témoignage des ouvriers du Livre (réunis par Georges Navel en vue d’un article dans leur publication professionnelle) qui donne le mieux la dimension humaine de notre ami. « C’était vraiment un gars du marbre Camus, on pouvait le considérer comme un ouvrier du Livre (…) Il avait toutes nos qualités et tous nos défauts, il était exactement dans l’ambiance du marbre aussi bien du point de vue gaieté, du point de vue blague, il était dans tous les coups, dans la tradition », dit Roy, un délégué syndical de Combat à l’époque où Camus en était le rédacteur en chef. « Camus était plus souvent au marbre qu’à la rédaction », dit un autre. « Une chose qui peut surprendre, c’est que s’il était à l’aise parmi les ouvriers, il n’était pas à l’aise parmi les journalistes. Peut-être n’avait-il pas été admis par les journalistes comme il avait été admis par nous », suggère Rirette Maîtrejean.
Comme le constate en épilogue Freddy Gomez, « la place laissée vide par la disparition de Camus l’espagnol ne fut jamais comblée ». En mai 1952, dans une réponse adressée à Gaston Leval, Albert Camus affirmait que la société de demain ne pourra pas se passer de la pensée libertaire. En 2008, cette évidence devient de plus en plus criante. Que les libertaires retroussent leurs manches…
Paco
- Albert Camus et les libertaires (1948-1960), éditions Egrégores, 268 pages. 15€. Les éditions Egrégores sont membres du Club du livre libertaire.
- Le livre sera présenté dans divers lieux :
Au salon du livre libertaire organisé par la CNT les 17 et 18 octobre à Saint-Etienne.
Au salon du livre de Tournus le 2 novembre.
Au CIRA de Marseille le 8 novembre.
A la librairie Le Bal des Ardents (17, rue Neuve 69001 Lyon) le 13 novembre dans le cadre de l’exposition Albert Camus et les libertaires qui sera présentée du 13 novembre au 13 décembre. Marc-Henri Arfeux (qui a dirigé l’édition de L’Homme révolté chez Folio) donnera également une conférence. Informations auprès de la librairie Le Bal des Ardents
Et également des dates à venir à la librairie Publico (à Paris), à Bordeaux, à Périgueux…
Dédié chaleureusement à Catherine Camus, l’ouvrage regroupe de nombreux textes de et sur Camus rassemblés et commentés par Lou Marin. Depuis trente ans, Lou Marin milite au sein d’un courant anarchiste non-violent de langue allemande, Graswurzelrevolution, continuateur de la revue française Anarchisme et non-violence que l’on retrouve à présent sur Internet sous l’appellation Anarchisme et non-violence 2. Pour les anarchistes, Albert Camus est une référence incontournable. En particulier pour celles et ceux qui sont touché-e-s par les réflexions de Camus sur la violence révolutionnaire. Comme le rappelle cet ouvrage, l’auteur de L’Homme révolté, admirateur de Gandhi, rejetait toutes les violences. « Je crois que la violence est inévitable (…) Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence », expliquait-il.
C’est en rencontrant Rirette Maîtrejean (1887-1968), co-éditrice du journal L’Anarchie avec Victor Kibaltchich (alias Victor Serge), qu’Albert Camus fut sensibilisé à la pensée libertaire. Rirette était correctrice au journal bourgeois Paris Soir. Albert y était rédacteur et secrétaire de rédaction. Au marbre comme pendant les mois d’exode, en 1940, avec Rirette et des typos, correcteurs et imprimeurs souvent anarcho-syndicalistes, Camus eut le temps de découvrir les traditions libertaires en France. Peu à peu, Camus, le « camarade absolument parfait », fit la connaissance des anarchistes responsables de diverses publications françaises (Le Monde libertaire, Défense de l’Homme, Liberté, Le Libertaire, Témoins…) ou étrangères (Volonta, Solidaridad Obrera, Arbetaren, Die freie Gesellschaft, Reconstruir, Babel…). Camus collabora régulièrement à certains de ces journaux et rencontra ses animateurs. Il profita même de son séjour à Stockholm, lors de la remise de son prix Nobel en 1957, pour se faire interviewer par Arbetaren et visiter les locaux de la Sveriges Arbetaren Centralorganisation (SAC), l’organisation anarcho-syndicaliste suédoise.
Dans les années 1930, Albert Camus semblait avoir déjà des prédispositions pour les analyses libertaires. Il s’était fait viré du parti communiste, en 1937, parce qu’il soutenait Messali Hadj, leader du Mouvement nord-africain (MNA), parti rival du FLN qui entretenait des contacts avec le mouvement libertaire et les syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne (où Camus allait écrire). Le drame espagnol touchait aussi particulièrement Camus le méditerranéen. Appels, articles et meetings se succédèrent pour venir en aide aux militants antifranquistes. En février 1952, salle Wagram à Paris, il participa à un meeting pour soutenir cinq militants de la CNT condamnés à mort. Malgré les querelles qui faisaient rage entre eux et Camus, André Breton et Jean-Paul Sartre avaient fait le déplacement.
Albert Camus s’exprima régulièrement dans Témoins, revue antimilitariste et libertaire qui était ouverte à tous les courants anars. Son antimilitarisme l’engagea naturellement aux côtés de l’anarchiste Louis Lecoin, dans les colonnes de la publication Défense de l’Homme, mais aussi dans la lutte pour l’obtention d’un statut en faveur des objecteurs de conscience. Écrit par Camus, le projet de statut fut approuvé par les membres du comité de secours aux objecteurs de conscience et diffusé par les militants pacifistes et libertaires, notamment dans un numéro spécial de la revue Contre-courant.
Textes à l’appui, l’ouvrage revient sur les polémiques provoquées par L’Homme révolté, sur les débats dans Témoins ou dans La Révolution prolétarienne. Il est question encore des Groupes de liaison internationale (GLI), du soutien apporté à Maurice Laisant lors du procès fait aux Forces libres de la Paix, des campagnes en faveur de Gary Davis (aviateur de l’US Air Force) ou contre la peine de mort, des réactions de Camus au moment des émeutes de Berlin-Est en 1935, de Poznan en 1956, de la révolution hongroise…
Textes politiques et philosophiques se succèdent pour cerner le Camus qui affirmait : « Bakounine est vivant en moi ». Mais, parmi tous ces textes, c’est sans doute le témoignage des ouvriers du Livre (réunis par Georges Navel en vue d’un article dans leur publication professionnelle) qui donne le mieux la dimension humaine de notre ami. « C’était vraiment un gars du marbre Camus, on pouvait le considérer comme un ouvrier du Livre (…) Il avait toutes nos qualités et tous nos défauts, il était exactement dans l’ambiance du marbre aussi bien du point de vue gaieté, du point de vue blague, il était dans tous les coups, dans la tradition », dit Roy, un délégué syndical de Combat à l’époque où Camus en était le rédacteur en chef. « Camus était plus souvent au marbre qu’à la rédaction », dit un autre. « Une chose qui peut surprendre, c’est que s’il était à l’aise parmi les ouvriers, il n’était pas à l’aise parmi les journalistes. Peut-être n’avait-il pas été admis par les journalistes comme il avait été admis par nous », suggère Rirette Maîtrejean.
Comme le constate en épilogue Freddy Gomez, « la place laissée vide par la disparition de Camus l’espagnol ne fut jamais comblée ». En mai 1952, dans une réponse adressée à Gaston Leval, Albert Camus affirmait que la société de demain ne pourra pas se passer de la pensée libertaire. En 2008, cette évidence devient de plus en plus criante. Que les libertaires retroussent leurs manches…
Paco
- Albert Camus et les libertaires (1948-1960), éditions Egrégores, 268 pages. 15€. Les éditions Egrégores sont membres du Club du livre libertaire.
- Le livre sera présenté dans divers lieux :
Au salon du livre libertaire organisé par la CNT les 17 et 18 octobre à Saint-Etienne.
Au salon du livre de Tournus le 2 novembre.
Au CIRA de Marseille le 8 novembre.
A la librairie Le Bal des Ardents (17, rue Neuve 69001 Lyon) le 13 novembre dans le cadre de l’exposition Albert Camus et les libertaires qui sera présentée du 13 novembre au 13 décembre. Marc-Henri Arfeux (qui a dirigé l’édition de L’Homme révolté chez Folio) donnera également une conférence. Informations auprès de la librairie Le Bal des Ardents
Et également des dates à venir à la librairie Publico (à Paris), à Bordeaux, à Périgueux…
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