samedi 28 juin 2008

Albert Camus



Albert Camus, né le 7 novembre 1913 à Mondovi en Algérie et mort le 4 janvier 1960 à Villeblevin dans l'Yonne, est un écrivain, dramaturge et philosophe français. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1957.

Révolte dans les Asturies (1936) Essai de création collective.
L'Envers et l'endroit (1937)
Noces (1939) recueil d'essais et d'impressions
Le Mythe de Sisyphe (1942) essai sur l'absurde
L'Étranger (1942)
Caligula (1944) Pièce en 4 actes.
Le Malentendu (1944) Pièce en 3 actes.
Réflexions sur la Guillotine (1947)
La Peste (1947 ; Prix de la critique en 1948)
L'État de siège (1948) Spectacle en 3 parties.
Lettres à un ami allemand (1948 ; publié sous le pseudonyme de Louis Neuville)
Les Justes (1950) Pièce en 5 actes.
Actuelles I, Chroniques 1944-1948(1950)
L'Homme révolté (1951)
Actuelles II, Chroniques 1948-1953
L'Été (1954) Essai.
La Chute (1956)
L'Exil et le royaume (Gallimard, 1957) nouvelles (La femme adultère, Le renégat, Les muets, L'hôte, Jonas, La pierre qui pousse)
Réflexions sur la peine capitale (1957) En collaboration avec Arthur Koestler.
Chroniques algériennes, Actuelles III, 1939-1958 (1958)
Les Possédés (1959) adaptation au théâtre du roman de Fedor Dostoïevski
Carnets I, mai 1935-février 1942 (1962)
Carnets II, janvier 1942-mars 1951 (1964)
La Mort heureuse (1971) Roman
Le Premier Homme (Gallimard, 1994 ; publié par sa fille) roman inachevé

Mouloud Feraoun



Mouloud Feraoun est un écrivain kabyle algérien d'expression française né le 8 mars 1913 à Tizi Hibel en haute Kabylie (Algérie) et victime à Alger le 15 mars 1962, avec cinq de ses collègues inspecteurs de l'Education Nationale, de l'assassinat de Château Royal attribué à l'OAS.

Livres
Le fils du pauvre, Menrad instituteur kabyle, Le Puy, Cahiers du nouvel humanisme, 1950, 206 p.
La terre et le sang, Paris, Seuil, 1953, 256 p.
Jours de Kabylie, Alger, Baconnier, 1954, 141 p.
Les chemins qui montent, Paris, Seuil, 1957, 222p.
Les poèmes de Si Mohand, Paris, Les éditions de Minuit, 1960, 111p.
Journal 1955-1962, Paris, Seuil, 1962, 349 p.
Lettres à ses amis, Paris, Seuil, 1969, 205p.
L'anniversaire, Paris, Seuil, 1972, 143p.
La cité aux roses, Alger, Yamcom, 2007, 172p.

Articles
« L'instituteur du bled en Algèrie », Examens et Concours, Paris, mai-juin 1951.
« Le désaccord », Soleil, Alger, n°6; juin 1951.
« Sur l'école Nord-africaine des lettres », Afrique, AEA, Alger, n°241, juillet-septembre 1951.
«Les potines», Foyers ruraux, Paris, n°8, 1951.
« Moeurs kabyles », La vie au soleil, Paris, septembre-octobre 1951.
« Les rêves d'Irma Smina », Les Cahiers du sud, Marseille, Rivages, n°316, 2 semestre 1952.
« Ma mère », Simoun, Oran, J.M Guiaro, n°8, mai 1953.
« Les Beaux jours », Terrasses, Alger, Jean Sénac, juin 1953.
« Réponse à l'enquête », Les nouvelles littéraires, Paris, Larousse, 22 octobre 1953.
« Images algériennes d'Emmanuel Roblès », Simoun, Oran, J.M Guiaro, n°30, décembre 1953.
« L'auteur et ses personnages », Bulletin de l'amicale des anciens éléves de l'école normale de la Bouzaréa, février 1954.
« Au dessus des haines », Simoun, Oran, J.M Guiaro, n°31, juillet 1954.
« Le départ », L'action, Tunis, Parti socialiste destourien, n°9, 20 juin 1955.
«Le voyage en Grèce et en Sardaigne», Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord, n°1, 29 septembre 1956
«Les aventures de Ami Mechivchi», Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord, n°1, 29 septembre 1956 .
« Les aventures de Ami Mechivchi » (suite), Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord , n°2, 13 octobre 1956 .
« Souvenir d'une rentrée », n°2, Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord, 15 octobre 1956 .
« L'instituteur du bled en Algèrie », Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord , n°3, 25 octobre 1956 .
« Le beau de Tizi », Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord, n°4, 10 novembre 1956 .
« Les bergères », Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord, n°5, 24 novembre 1956 .
« Hommage à l'école française », Journal des instituteurs de l'Afrique du Nord, n°6, 6 décembre 1956.
« Monsieur Maschino, vous êtes un salaud », Démocratie, Casablanca, Charkaoui, 1 avril 1957.
«La légende de Si Mohand», Affrontement, Paris, n°5 « Art, culture et peuple en Afrique du Nord, décembre 1957.
« Les écrivains musulmans », Revue française de l'élite européenne, Paris, n°91, 1957.
« La littérature algérienne », Revue française, Paris, 1957.
« Le voyage en Grèce », Revue française, Paris, 1957.
« La légende de Si Mohand », Algeria, OFALAC, septembre 1958.
« Hommage à l'école française », Algeria, OFALAC, n°22, mai-juin 1959.
« La source de nos communs malheurs » (lettre à Camus), Preuves, Paris, Congrés pour la liberté de la culture, n°91, septembre 1958.
« Le dernier message », Preuves, Paris, Congrés pour la liberté de la culture, n° 110, avril 1959.
« Le départ du père », Algeria, OFALAC, n°22, mai-juin 1959.
« Journal d'un algérien », Preuves, Paris, Congrés pour la liberté de la culture, n° 139, septembre 1959.
« La vache des orphelins », Algeria, OFALAC, n°30, janvier-février 1960.
« Si Mohand ou Mehand », La nouvelle critique, PCF, n°112, janvier 1960.
« Destins de femmes », Algeria, OFALAC, n°44, décembre 1960.
« L'entraide dans la société kabyle », Revue des centres sociaux, Alger, n°16, 1961.
« Mekidèche et l'ogresse », Algeria, OFALAC, n°60, automne 1961.
« Mekidèche et l'ogresse » (suite), Algeria, OFALAC, n°61, noël 1961.
« Déclaration téléphonique après la mort d'Albert Camus », Oran Républicain, Oran, 6 janvier, 1962.
« Lettres de Kabylie envoyées à Emmanuel Roblès », Esprit, n°12, décembre 1962.
« Algerisches Tagebuch », Dokumente. Zeitshr. Übernationale Zusammenarbeit, Bonn, n°18, 1962.
« Discours lors de la remise du prix de la ville d'Alger », le 5 avril 1952, Oeuvres et critiques, Paris, J.M.Place, n°4, hiver 1979.
« Les tueurs », CELFAN Review, Philadelphie, Temple University, Eric Sellin, Editor, 1982.

Emmanuel Roblès



Emmanuel Roblès, né le 4 mai 1914 à Oran (Algérie) et mort le 22 février 1995 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), fut un écrivain français. Membre de l'Académie Goncourt en 1973.

1938 - L'Action (roman) rééd. le Seuil, 1996
1940 - La Vallée du paradis
1942 - Travail d'homme(roman) rééd. le Seuil, 1996
1942 - La Marie des quatre vents (nouvelle)
1944 - Nuits sur le monde (recueil de nouvelles inspirée par ses voyages)
1947 - Les Hauteurs de la ville (obtient le Prix Femina)
1948 - Montserrat (pièce)
1951 - La Mort en face (recueil de nouvelles)
1952 - Cela s'appelle l'aurore
1954 - Federica
1956 - Les Couteaux (roman sur le Mexique)
1959 - L'Homme d'Avril (recueil de nouvelles sur le Japon)
1961 - Le Vésuve
1961 - Jeunes saisons (autobiographie)
1962 - La Remontée du fleuve
1968 - La Croisière
1970 - Un Printemps d'Italie
1972 - L'Ombre et la rive (recueil de nouvelles)
1974 - Saison violente
1976 - Un Amour sans fin
1977 - Les Sirènes
1979 - L'Arbre invisible
1981 - Venise en hiver
1984 - Un château en novembre (pièce)
1985 - La chasse à la licorne
1988 - Norma, ou, L'Exil infini
1988 - Albert Camus et la trêve civile (critique)
1990 - Les Rives du fleuve bleu (recueil de nouvelles)
1990 - Cristal des jours (poésie)
1992 - L'Herbe des ruines
1994 - Erica (recueil de nouvelles)
1995 - Camus, frère de soleil (biographie)

Jules Roy



Jules Roy est un écrivain français
(Rovigo, Algérie, 22 octobre 1907- Vézelay, 15 juin 2000).

Prix Renaudot en 1946 pour La Vallée heureuse
Grand prix littéraire de Monaco en 1957
Grand prix de littérature de l'Académie française en 1958
Grand prix national des Lettres en 1969
Prix de la Ville de Paris en 1975

Romans

Le tonnerre et les anges, Grasset, 1975.
Le Désert de Retz, Grasset, 1978.
Les Chevaux du soleil, Grasset, 1980, 6 vol. ; édition en un volume, Omnibus, 1995.
La Saison des Za, Grasset, 1982.

Récits
Ciel et terre, Alger, Charlot, 1943 (épuisé).
La Vallée heureuse, Charlot, 1946, avec une préface de Pierre Jean Jouve ; Gallimard, 1948 ; Julliard, 1960 ; Albin Michel, 1989.
Le Métier des armes, Gallimard, 1948 ; Julliard, 1960.
Retour de l'enfer, Gallimard, 1953 ; Julliard, 1960.
Le Navigateur, Gallimard, 1954 ; Julliard, 1960.
La Femme infidèle, Gallimard, 1955 ; Julliard, 1960.
Les Flammes de l'été, Gallimard, 1956 ; Julliard, 1960 ; Albin Michel, 1993.
Les Belles Croisades, Gallimard, 1959 ; Julliard, 1960.
La Guerre d'Algérie, Julliard, 1960 ; Christian Bourgois, 1994.
La Bataille de Dien Bien Phu, Julliard, 1963 ; Albin Michel, 1989.
Le Voyage en Chine, Julliard, 1965.
La Mort de Mao, Christian Bourgois, 1969 ; Albin Michel, 1991.
L'Amour fauve, Grasset, 1971.
Danse du ventre au-dessus des canons, Flammarion, 1976.
Pour le lieutenant Karl, Christian Bourgois, 1977.
Pour un chien, Grasset, 1979.
Une affaire d'honneur, Plon, 1983.
Beyrouth viva la muerte, Grasset, 1984.
Guynemer, l'ange de la mort, Albin Michel, 1986.
Mémoires barbares, Albin Michel, 1989.
Amours barbares, Albin Michel, 1993.
Un après-guerre amoureux, Albin Michel, 1995.
Adieu ma mère, adieu mon cœur, Albin Michel, 1996.
Journal, t. 1, Les années déchirement, 1925-1965, Albin Michel, 1997.
Journal, t. 2, Les années cavalières, 1966-1985, Albin Michel, 1998.
Journal, t. 3, Les années de braise, 1986-1996, Albin Michel, 1999.
Lettre à Dieu, Albin Michel, 2001.

Essais
Comme un mauvais ange, Charlot, 1946 ; Gallimard, 1960.
L'Homme à l'épée, Gallimard, 1957 ; Julliard, 1960.
Autour du drame, Julliard, 1961.
Passion et mort de Saint-Exupéry, Gallimard, 1951 ; Julliard, 1960 ; La Manufacture, 1987.
Le Grand Naufrage, Julliard, 1966 ; Albin Michel, 1995.
Turnau, Sienne, 1976 (hors commerce).
Éloge de Max-Pol Fouchet, Actes Sud, 1980.
Étranger pour mes frères, Stock, 1982.
Citoyen Bolis, tambour de village, Avallon, Voillot,1989.
Vézelay ou l'Amour fou, Albin Michel, 1990.
Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu, Albin Michel, 1991.

Poèmes
Trois Pières pour des pilotes, Alger, Charlot, 1942.
Chants et prières pour des pilotes, Charlot, 1943 ; Gallimard, 1948 ; Julliard, 1960.
Sept Poèmes de ténèbres, Paris, 1957 (hors commerce).
Prière à Mademoiselle Sainte-Madeleine, Charlot, 1984 ; Bleu du Ciel, Vézelay, 1986.
Chant d'amour pour Marseille, Jeanne Laffitte, 1988.
Cinq Poèmes, Avallon, Voillot,1991.
La nuit tombe, debout camarades !, Gérard Oberlé, 1991.
Poèmes et prières des années de guerre (1939-1945), Actes Sud, 2001.

Théâtre
Beau Sang, Gallimard, 1952 ; Julliard, 1960.
Les Cyclones, Gallimard, 1953 ; Julliard, 1960.
Le Fleuve rouge, Gallimard, 1957 ; Julliard, 1960.
La Rue des Zouaves suivi de Sa Majesté Monsieur Constantin, Julliard, 1970.
Lieutenant Karl, dramatique télé (Michel Wyn), INA, 1977.
Mort au champ d'honneur' Albin Michel, 1995.

Pamphlet
J'accuse le général Massu, Seuil, 1972.

Conte
L'Œil de loup du roi de Pharan, Sétif, 1945 (hors commerce).

Avec Jean Amrouche
D'une amitié. Correspondance (1937-1962), Édisud, 1985.

mercredi 18 juin 2008

10 décembre 1957 - Prix Nobel de Littérature


Discours de Stockholm
Albert Camus


Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas s'isoler; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle.
Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d'une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel.

Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou, sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d'hommes ne l'enlèveront pas à la solitude, même et surtout s'il consent à prendre leur pas. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil, chaque fois, du moins, qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l'art.

Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu'il accepte, autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d'hommes possible, elle ne peut s'accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils régnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir - le refus de mentir sur ce que l'on sait et la résistance à l'oppression.

Pendant plus de vingt ans d'une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j'ai été soutenu ainsi par le sentiment obscur qu'écrire était aujourd'hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m'obligeait particulièrement à porter, tel que j'étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l'espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la Première Guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s'installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d'Espagne, à la Seconde Guerre mondiale, à l'univers concentrationnaire, à l'Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd'hui élever leurs fils et leurs oeuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d'être optimistes.
Et je suis même d'avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l'erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l'époque. Mais il reste que la plupart d'entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d'une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l'instinct de mort à l'oeuvre dans notre histoire.

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance.
Il n'est pas sûr qu'elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l'occasion, sait mourir sans haine pour lui. C'est elle qui mérite d'être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C'est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l'honneur que vous venez de me faire.

Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d'écrire, j'aurais remis l'écrivain à sa vraie place, n'ayant d'autres titres que ceux qu'il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son oeuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu'il essaie obstinément d'édifier dans le mouvement destructeur de l'histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n'ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d'être, à la vie libre où j'ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m'a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m'aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent dans le monde la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.
Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer, pour finir, l'étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m'accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n'en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du coeur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.

Le droit à l’insoumission

Voici le texte de la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », dit Manifeste des 121, suivi de la première liste de ses signataires...

Un mouvement très important se développe en France, et il est nécessaire que l’opinion française et internationale en soit mieux informée, au moment où le nouveau tournant de la guerre d’Algérie doit nous conduire à voir, non à oublier, la profondeur de la crise qui s’est ouverte il y a six ans.

De plus en plus nombreux, des Français sont poursuivis, emprisonnés, condamnés, pour s’être refusés à participer à cette guerre ou pour être venus en aide aux combattants algériens. Dénaturées par leurs adversaires, mais aussi édulcorées par ceux-là mêmes qui auraient le devoir de les défendre, leurs raisons restent généralement incomprises. Il est pourtant insuffisant de dire que cette résistance aux pouvoirs publics est respectable. Protestation d’hommes atteints dans leur honneur et dans la juste idée qu’ils se font de la vérité, elle a une signification qui dépasse les circonstances dans lesquelles elle s’est affirmée et qu’il importe de ressaisir, quelle que soit l’issue des événements.

Pour les Algériens, la lutte, poursuivie, soit par des moyens militaires, soit par des moyens diplomatiques, ne comporte aucune équivoque. C’est une guerre d’indépendance nationale. Mais, pour les Français, quelle en est la nature ? Ce n’est pas une guerre étrangère. Jamais le territoire de la France n’a été menacé. Il y a plus : elle est menée contre des hommes que l’Etat affecte de considérer comme français, mais qui, eux, luttent précisément pour cesser de l’être. Il ne suffirait même pas de dire qu’il s’agit d’une guerre de conquête, guerre impérialiste, accompagnée par surcroît de racisme. Il y a de cela dans toute guerre, et l’équivoque persiste.

En fait, par une décision qui constituait un abus fondamental, l’Etat a d’abord mobilisé des classes entières de citoyens à seule fin d’accomplir ce qu’il désignait lui-même comme une besogne de police contre une population opprimée, laquelle ne s’est révoltée que par un souci de dignité élémentaire, puisqu’elle exige d’être enfin reconnue comme communauté indépendante.

Ni guerre de conquête, ni guerre de « défense nationale », ni guerre civile, la guerre d’Algérie est peu à peu devenue une action propre à l’armée et à une caste qui refusent de céder devant un soulèvement dont même le pouvoir civil, se rendant compte de l’effondrement général des empires coloniaux, semble prêt à reconnaître le sens.

C’est, aujourd’hui, principalement la volonté de l’armée qui entretient ce combat criminel et absurde, et cette armée, par le rôle politique que plusieurs de ses hauts représentants lui font jouer, agissant parfois ouvertement et violemment en dehors de toute légalité, trahissant les fins que l’ensemble du pays lui confie, compromet et risque de pervertir la nation même, en forçant les citoyens sous ses ordres à se faire les complices d’une action factieuse et avilissante. Faut-il rappeler que, quinze ans après la destruction de l’ordre hitlérien, le militarisme français, par suite des exigences d’une telle guerre, est parvenu à restaurer la torture et à en faire à nouveau comme une institution en Europe ?

C’est dans ces conditions que beaucoup de Français en sont venus à remettre en cause le sens de valeurs et d’obligations traditionnelles. Qu’est-ce que le civisme lorsque, dans certaines circonstances, il devient soumission honteuse ? N’y a-t-il pas des cas où le refus est un devoir sacré, où la « trahison » signifie le respect courageux du vrai ? Et lorsque, par la volonté de ceux qui l’utilisent comme instrument de domination raciste ou idéologique, l’armée s’affirme en état de révolte ouverte ou latente contre les institutions démocratiques, la révolte contre l’armée ne prend-elIe pas un sens nouveau ?

Le cas de conscience s’est trouvé posé dès le début de la guerre. Celle-ci se prolongeant, il est normal que ce cas de conscience se soit résolu concrètement par des actes toujours plus nombreux d’insoumission, de désertion, aussi bien que de protection et d’aide aux combattants algériens. Mouvements libres qui se sont développés en marge de tous les partis officiels, sans leur aide et, à la fin, malgré leur désaveu. Encore une fois, en dehors des cadres et des mots d’ordre préétablis, une résistance est née, par une prise de conscience spontanée, cherchant et inventant des formes d’action et des moyens de lutte en rapport avec une situation nouvelle dont les groupements politiques et les journaux d’opinion se sont entendus, soit par inertie ou timidité doctrinale, soit par préjugés nationalistes ou moraux, à ne pas reconnaître le sens et les exigences véritables.

Les soussignés, considérant que chacun doit se prononcer sur des actes qu’il est désormais impossible de présenter comme des faits divers de l’aventure individuelle ; considérant qu’eux-mêmes, à leur place et selon leurs moyens, ont le devoir d’intervenir, non pas pour donner des conseils aux hommes qui ont à se décider personnellement face à des problèmes aussi graves, mais pour demander à ceux qui les jugent de ne pas se laisser prendre à l’équivoque des mots et des valeurs, déclarent :

- Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien.

- Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français.

- La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres.

Arthur ADAMOV - Robert ANTELME - Georges AUCLAIR - Jean BABY - Hélène BALFET - Marc BARBUT - Robert BARRAT - Simone de BEAUVOIR - Jean-Louis BEDOUIN - Marc BEIGBEDER - Robert BENAYOUN - Maurice BLANCHOT - Roger BLIN - Arsène BONNAFOUS-MURAT - Geneviève BONNEFOI - Raymond BORDE - Jean-Louis BORY - Jacques-Laurent BOST - Pierre BOULEZ - Vincent BOUNOURE - André BRETON - Guy CABANEL - Georges CONDAMINAS - Alain CUNY - Dr Jean DALSACE - Jean CZARNECEI - Adrien DAX - Hubert DAMISCE - Bernard DORT - Jean DOUASSOT - Simone DREYFUS - Marguerite DURAS - Yves ELLEOUËT - Dominique ÉLUARD - Charles ESTIENNE - Louis-René des FORETS - Dr Théodore FRAENKEL - André FRENAUD - Jacques GERNET - Edouard GLISSANT - Anne GUÉRIN - Daniel GUÉRIN - Jacques HOWLETT - Edouard JAGUER - Pierre JAOUEN - Gérard JARLOT - Robert JAULIN - Alain JOUBERT - Henri KREA - Robert LAGARDE - Monique LANGE - Claude LANZMANN - Robert LAPOUJADE - Henri LEFEBVRE - Gérard LEGRAND - Michel LEIRIS - Paul LEVY - Jérôme LINDON - Eric LOSFELD - Robert LOUZON - Olivier de MAGNY - Florence MALRAUX - André MANDOUZE - Maud MANNONI - Jean MARTIN - Renée MARCEL-MARTINET - Jean-DanieI MARTINET - Andrée MARTY-CAPGRAS - Dionys MASCOLO - François MASPERO - André MASSON - Pierre de MASSOT - Jean-Jacques MAYOUX - Jehan MAYOUX - Théodore MONOD - Marie MOSCOVICI - Georges MOUNIN - Maurice NADEAU - Georges NAVEL - Claude OLLIER - Hélène PARMELIN - Marcel PÉJU - José PIERRE - André PIEYRE de MANDIARGUES - Edouard PIGNON - Bernard PINGAUD - Maurice PONS - J.-B. PONTALIS - Jean POUILLON - Denise RENE - Alain RESNAIS - Jean-François REVEL - Alain ROBBE-GRILLET - Christiane ROCHEFORT - Jacques-Francis ROLLAND - Alfred ROSMER - Gilbert ROUGET - Claude ROY - Marc SAINTSAENS - Nathalie SARRAUTE - Jean-Paul SARTRE - Renée SAUREL - Claude SAUTET - Jean SCHUSTER - Robert SCIPION - Lonis SEGUIN - Geneviève SERREAU - Simone SIGNORET - Jean-Claude SILBERMANN - Claude SIMON - SINÉ - René de SOLIER - D. de la SOUCHERE - Jean THIERCELIN - Dr René TZANCK - VERCORS - J.-P. VERNANT - Pierre VIDAL-NAQUET - J.-P. VIELFAURE - Claude VISEUX - YLIPE - René ZAZZO.