lundi 13 juillet 2009

André Laude : « Pied-Rouge » en Algérie !


Fin 2008, les éditions de la Différence ont publié l’œuvre poétique d’André Laude. Retour sur l’itinéraire algérien d’un rebelle « Pied-Rouge ».

Complice des surréalistes, des anarchistes et des situationnistes, rebelle singulier surfant sur l’universalité du monde des vivants, André Laude (1936-1995) a été l’homme de plusieurs vies. Journaliste, sous son nom ou avec de multiples pseudonymes, pour Combat, Le Libertaire, Tribune socialiste, Jeune Afrique, Le Monde, Pilote, Les Nouvelles littéraires, Le Nouvel Observateur, Actuel, Politis, Le Fou parle, Art Tension, France Culture, Playboy…, André Laude a également été un poète fulgurant. La copieuse œuvre poétique publiée fin 2008 par les éditions de la Différence nous replonge dans une somme de textes parfois déroutants.

Révolté viscéral, André Laude a adopté bien des causes avec une extrême empathie. Dans sa chair et dans son sang, il pouvait être sincèrement Nègre, Amérindien, Breton, Occitan, Cubain, Espagnol, juif polonais, coolie en Asie… ou Kabyle. La guerre d’Algérie a été très concrètement le premier grand rendez-vous politique d’André Laude. Il a raconté la genèse de cet engagement dans le journal Combat les 8, 9 et 10 juin 1965. Articles qui seront prochainement réédités par l’association des Amis d’André Laude.

Au début des années 1950, André Laude se lia d’amitié avec Michel Donnet, l’un des fondateurs de la Fédération communiste libertaire (FCL) qui éditait Le Libertaire. Un vieux Kabyle militait au sein du groupe. Autour d’un couscous ou d’un verre de thé à la menthe, le jeune André se nourrissait de la tragique histoire algérienne en serrant les poings. Farouchement anticolonialistes, les militants de la FCL apportèrent leur soutien à Messali Hadj, le pionnier du nationalisme algérien. « Nous jetâmes – sans trop d’espoir – toutes nos forces dans la lutte pour entraîner les masses dans un soutien actif au combat des Algériens. Le Libertaire vint en tête des organes de presse saisis, ce qui, ajouté aux tracasseries policières de toutes sortes et à nos crises, allait bientôt amener à la disparition de la FCL. »

En 1956, ne voulant pas devenir l’un des bourreaux du peuple algérien, André Laude vivait à la frontière de la clandestinité, « prêt à disparaître au moindre signe inquiétant ». La classe ouvrière bougeait un peu, « pas assez pour imposer une paix révolutionnaire ». « Elle est fatiguée de la guerre, mais le sang de ses jeunes morts, au soleil des Aurès, ne l’écœure pas assez pour qu’elle s’empare des rues et arrache les pavés », regrettait André qui, avec ses camarades communistes libertaires, devint porteur de valises « bien avant que Francis Jeanson ne s’en souciât » et participa à des campagnes qui luttaient contre l’envoi de troupes françaises en Afrique du Nord.

Dans un entretien accordé à Thierry Maricourt pour L’Histoire de la littérature libertaire en France (Albin Michel. 1990), André Laude expliquait qu’il fut un jour arrêté à Paris, place de la Nation, et conduit dans un camp tenu par des parachutistes dans le Sud Sahara. Prisonnier, il aurait subi des traitements barbares. « Quand je m’effondrais sur le sol de la cellule, je me traînais jusqu’à la muraille. Les ongles griffaient la pierre chaude en quête d’une impossible humidité. J’avais les lèvres boursouflées. Ma poitrine fumait comme une forge. Je haletais. J’appelais ma mère au secours. Je crachais des mots sans suite… »

Échangé contre cinq officiers supérieurs français, André Laude a été libéré au bout de plusieurs mois d’enfer. Passant par Tunis, il reprit le travail de journaliste qu’il avait commencé à Combat. Ce révolutionnaire devenu « professionnel » partit à Cuba pour le compte des nationalistes algériens et revint en France pour reprendre une activité clandestine. De cette époque, datent des rencontres avec de nombreux militants et écrivains, dont Frantz Fanon et le « frère » Kateb Yacine, « le petit survivant de Sétif ».

L’Algérie gagna son indépendance, en 1962. « Que vais-je devenir ?, se demandait André Laude. J’ai trop vécu la lutte des Algériens pour retourner à mon train-train quotidien, poétique et alimentaire, alors que tout va commencer là, sous le soleil, au milieu des pierres. Car je ne doute pas de la révolution. Ce serait trop triste qu’un peuple ait combattu huit années pour s’arrêter à cette victoire. » Avec une lettre de ses amis Algériens de Paris serrée dans son portefeuille, « sésame magique pour entrer dans la grotte merveilleuse de la révolution », André Laude arriva à Alger en plein ramadan. Malgré l’islam « réactionnaire, abâtardi, pétrifié » qu’il découvre et qui « perpétue en Algérie la domination de l’homme sur la femme », André Laude sentait flotter la révolution dans l’air.

Aux terrasses des cafés, se mêlaient Algériens et « Français de gauche » qui avaient déserté Saint-Germain-des-Prés. On y croisait notamment Georges Arnaud, l’auteur du Salaire de la peur que Minute appelait « le Français le plus anti-français », Hervé Bourges, Jacques Vergès, Henri Alleg, Jean Sénac… Le « traître » André Laude a travaillé pour l’Algérie-Presse-Service, l’agence de presse nationale algérienne, jusqu’à la chute d’Ahmed Ben Bella, en 1965. À son retour en France, Laude passa en procès pour « collaboration avec l’ennemi ». André Breton vint témoigner en sa faveur.

La guerre d’Algérie n’eut pas de fin pour André Laude. Il l’exprima notamment, en octobre 1980, dans Le Fou parle, revue d’art et d’humeur animée par Jacques Vallet. André Laude y publia une effrayante nouvelle, La Guerre n’est pas finie. Le texte figure au dos de la page qui offre le poème Ephélène écrit par Benoist Rey, auteur du livre Les Égorgeurs, ouvrage édité par les éditions de Minuit en avril 1961 et aussitôt interdit (disponible à présent aux éditions Libertaires).

« Une fois sur deux quand je vais aux chiottes je chie du sang. Et ce sang me ramène là-bas. Là-bas : violences, sexes coupés à coups de tessons de bouteille, de canettes de bière plus précisément. » Les premières lignes de la nouvelle annoncent un texte vertigineux sur les tortures sexuelles infligées aux prisonniers par les soldats français. « Où sommes-nous ? Nous sommes quelque part dans le sud saharien, dans un trou perdu. Une vague palmeraie. Un espace cerné par le fil barbelé. Des postes de garde. C’est le Goulag en plein Maghreb. C’est un camp. Un camp ressemble toujours à un autre camp. Il y a les mêmes silhouettes de gardes armés, les mêmes profils durs, les mêmes crosses qui luisent sous la lune, les mêmes chiens-loups, les mêmes lumières crues qui balaient l’espace de l’agonie… »

Dans Comme une blessure rapprochée du soleil, les éditions La Pensée sauvage avaient déjà publié, en 1979, un poème d’André Laude sur le même thème. Le Viol de Nedjma est le sous-titre donné au texte intitulé La Guerre d’Algérie.

(…) Le livre des cicatrices

on n’en achève jamais la lecture

Elle se prolonge au-delà même du sommeil

qui est un vrai nid de flammes et de vipères.

André Laude, Œuvre poétique (avant-dire de Abdellatif Laâbi, préface de Yann Orveillon, cahier photo), éditions de la Différence, 752 pages. 49€.

Les Amis d’André Laude chez André Cuzon 12 avenue Dumont 93600 Aulnay-sous-Bois. Contact mail : acuzon[at]wanadoo.fr Adhésion : 15€ (minimum) donnant droit au Cahier André Laude.

Merci à André Cuzon pour le prêt des articles d’André Laude publiés dans Combat. Toute approche biographique d’André Laude s’accompagne de quelques précautions. Vous êtes cordialement invité-e-s à fournir des éléments qui pourraient aider à dessiner les méandres de cette saga tumultueuse.

Paco, 13 juillet 2009