vendredi 7 mars 2008

L’Algérie, une colonie d’enfer



En 1904, deux anarchistes français, Louise Michel (1830-1905) et Ernest Girault (1871-1933) firent une tournée de conférences en Algérie pour dénoncer les religions, le militarisme, le capitalisme et le colonialisme. Les éditions Libertaires publient Une Colonie d’enfer, un récit de voyage pas ordinaire signé Ernest Girault.

Les historiens ne s’étaient pas encore penchés sur les conférences que Louise Michel donna en Algérie. Dans son étude, Louise Michel en Algérie (publiée par les éditions Libertaires), Clotilde Chauvin a réparé l’oubli. Le livre d’Ernest Girault, Une Colonie d’enfer (jamais réédité depuis sa sortie au printemps 1905), est le complément indispensable pour bien réaliser ce qu’il se passait en Algérie (colonie française depuis 1830) à cette époque.

La militante anarchiste arriva à Alger le 12 octobre 1904. Elle avait soixante-quatorze ans. Si sa santé la tourmentait, Louise Michel avait l’œil et l’esprit bien vifs. Sa parole portait, même au milieu du désert. La tournée se fit en deux temps. Louise et Ernest voyagèrent ensemble d’Alger à Constantine, puis jusqu’à Mascara. Fatiguée, Louise retourna à Alger pendant qu’Ernest continuait seul vers l’extrême sud, aux confins algéro-marocains, pour dénoncer les exactions de l’armée française.

D’octobre à décembre 1904, suivis par quelques amis, Louise et Ernest, s’arrêtèrent dans plusieurs villes (Tizi-Ouzou, Sétif, Blida, Mostaganem, Relizane…). Soutenus sur place par des membres du corps enseignant, des militants libres penseurs et antimilitaristes, les propagandistes débattirent avec des assemblées fortes parfois de quatre cents personnes. Un véritable tour de force dans cet univers hostile aux idées révolutionnaires (quand quelques tourments pointaient, les muscles du camarade Laouer étaient mis à contribution).

Les adhérents des Bourses du travail et des Maisons du Peuple, où se déroulaient certaines causeries, étaient bien sûr aux premières loges. L’auditoire, majoritairement vêtu à l’européenne, comprenait aussi des personnes habillées avec des burnous blancs, des chéchias, des turbans… Elles venaient notamment assister aux débats sur la religion.
Une grande dame manquait hélas à l’appel : Isabelle Eberhardt. Celle que l’on appelait la Séverine musulmane (en référence à Caroline Rémy, dite Séverine, journaliste libertaire) devait accompagner Girault dans le sud-oranais, mais elle perdit la vie lors de l’inondation qui détruisit Aïn-Sefra le 21 octobre 1904.

Nous ne reviendrons pas sur les éléments déjà développés par Clotilde Chauvin dans Louise Michel en Algérie. Lisons plutôt les commentaires d’Ernest Girault. En marge des conférences, il fouille l’Algérie de fond en comble, met son nez partout et produit un carnet de voyage impitoyable. A la manière d’Albert Londres, il plante sa plume dans la plaie. « Les colonisateurs ont porté la torche non pour éclairer, mais pour mettre le feu, écrit-il. On dit : rare comme le loup blanc. On dit mal. Aux colonies, tous les blancs sont loups. »

A son retour en métropole, Girault n’a pas de mots assez durs pour traduire ce qu’il a vu. « On est pris de nausées lorsque l’on quitte l’Algérie. La vieille patrie d’Abd-el-Kader et de Mokrani est devenue le pays de l’infamie et de la honte, non seulement parce que les Français y ont transporté leurs vices et leur barbarie, mais parce qu’aussi l’Italie, Malte et l’Espagne y déversent leurs scories humaines, leur trop plein de fanatiques, de brutes, d’alcooliques et d’ignorants. »

Les pourris de toutes tendances et conditions (officiers, fonctionnaires, commerçants, colons, conservateurs, républicains, francs-maçons, catholiques, juifs, athées…) s’étaient alliés pour mener, avec l’aide du gouvernement et de la presse, une guerre impitoyable contre les indigènes. Une clique de caïds parvenus s’entendait avec l’occupant pour affamer, torturer et opprimer leurs semblables. Corruption, prostitution, intrigues, criminalité gangrenaient le pays. « Et sur ce sol qui pourrait être un paradis terrestre, on n’entend que gémissements et plaintes, on ne rencontre que misère et douleur, on assiste qu’à des brutalités et qu’à des tortures. Il coule, de chaque côté de l’Atlas, assez de pleurs et de sang pour humecter tout le sable du désert », constate l’auteur qui mesure la tâche de celles et ceux qui voulaient remettre un peu de raison dans ce monde qui l’avait totalement perdue.

Le témoignage de Girault est un essai politique, mais il relève également du document ethnosociologique et du guide touristique. Avec un esprit et un vocabulaire bien datés, il décrit les cultures qui composent l’Algérie (sans craindre parfois les généralisations caricaturales), il dépeint les mœurs des uns et des autres. Après quelques détours dans les cafés maures et auberges d’Alger, Girault visite des régions qui lui rappellent le moyen-âge. Les longs trajets en train donnent de belles pages. Des wagons de voyageurs ou de marchandises qu’il emprunte, ses yeux admirent la variété des paysages. La découverte des ksour du Figuig et une course effrayante en loris (un plateau en bois roulant sur les rails du chemin de fer) sont dignes des meilleurs romans d’aventure.

En se rendant dans l’extrême sud, Girault ne sera pas au bout de ses peines. « Tout ce que vous pourrez révéler sur la conquête du sud sera au-dessous de la vérité », lui dira un Français. Le sadisme criminel y prospère en toute impunité. Des faits horribles imputés à des officiers français sont relatés. La loi du sabre… et du goupillon. Un curé lubrique était complice de ces cruautés. Elle est belle la « pénétration pacifique » ! Elle est belle « l’œuvre de d’humanisation » !

« Il y en a qui râlent et crèvent, pendant que d’autres s’enivrent et jouissent. » Les dernières lignes du livre d’Ernest Girault tombent à pic pour clore le sale bec de ceux qui osent encore parler des « aspects positifs » de la colonisation en Algérie.

- Ernest Girault, Une Colonie d’enfer, éditions Libertaires, 242 pages. 15 euros.

Paco, 28 juin 2007

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