jeudi 21 février 2008

Heureux comme un poisson...



Jean Paul REGIOR est né en 1940 à Oran. Il a résidé par la suite à Misserghin, et fut enseignant en Algérie avant l’indépendance. Contrairement à un arbre déraciné que l’on replante dans un ailleurs inconnu qui continue de vivre comme auparavant, Jean Paul se définit plutôt comme un poisson dans un bocal, abreuvé de nourriture française lyophilisée, qui tourne et tourne encore, qui vit. Qui vit … Alors, heureux comme un poisson dans l’eau ?

1-Quelle était l’origine de votre arrivée en Algérie ? A quelle époque date l’installation de votre famille en Algérie ?

Je suis né en Algérie, à Oran en 1940. Mes parents et grands-parents sont nés en Algérie. Ma grand-mère paternelle est arrivée en Algérie en 1882, à l’âge de deux ans.

2- Quels étaient vos liens avec les Algériens lorsque vous étiez enfant puis adulte ?

Enfant, j’ai toujours partagé mes jeux et mes joies avec les Algériens. Dans mon village, Misserghin (département d’Oran) les deux communautés Pied noir et Algérienne étaient très liées, du moins jusqu’en 1958. Néanmoins à cette époque, j’étais enseignant dans plusieurs établissements fréquentés par de jeunes algériens et partout je dois à la vérité de dire que j’ai reçu de nombreux témoignages de respect et de reconnaissance de la part des élèves et de leurs parents.

3- Quelles ont été vos conditions de travail en Algérie ?

Conditions de travail assez précaires et quelques fois dangereuses (nombreux attentas contre les enseignants aussi bien dans les villes que dans les villages).

4- Quelle est l’image que vous garderez toujours en mémoire au sujet de l’Algérie ?

Terre de mes ancêtres, terre où je suis né, terre où repose ma mère … baignée par notre soleil.

5- Faîtes-moi part de vos souvenirs.

Je suis né en Algérie où j’ai passé les 22 premières années de ma vie. Je continue de vivre, depuis mon arrivée en Métropole, chaque jour, avec les souvenirs de là-bas ! Ces souvenirs m’appartiennent. Ils ont forgé ma personnalité. En dévoiler quelques une serait trahir une partie de ma vie.

6- L’indépendance était-elle inévitable ?

Le contexte géo-politique actuel m’oblige à répondre que l’indépendance de l’Algérie était inévitable.

7- Que pensez-vous des colons français ?

Dans mon village, les petits propriétaires terriens qu’on appelait « les colons » travaillaient autant que les quelques salariés qu’ils employaient (souvent un seul salarié) et vivaient très souvent grâce aux avances accordées par la « Maison du colon » sur les recettes à venir ! Quant aux véritables colons, je crois qu’on peut les assimiler aux grands chefs d’entreprise actuels …

8- Quels son vos sentiments à propos de l’OAS ?

L’OAS pensait pouvoir conserver notre Algérie Française tant les promesses du Général De Gaulle et du gouvernement paraissaient sincères et inébranlables. Et puis le Général a parlé d’autodétermination... Alors comme dans toutes les guerres, les moyens mis en œuvre par l’OAS pour arriver à cette fin ont dépassé les intentions premières.

9- Que pensez-vous de De Gaulle ?

D’abord considéré comme le garant de l’Algérie Française, De Gaulle a trahi sa parole. Je crois qu’il était persuadé que sa politique mènerait à l’indépendance de l’Algérie, alors même qu’il affirmait que l’Algérie resterait française. (J’étais présent lors de certains de ses discours en Algérie.)

10- Cinq mots pour définir votre Algérie.

Fraternité – Joie de vivre – Respect des valeurs – Amour de la terre – Française

11- Qu’est-ce qu’une personne déracinée selon vous ?

Contrairement à un arbre qui peut être déraciné et replanté ailleurs et continuer de vivre comme avant, sans mémoire de son ancienne terre, un être humain (moi) peut continuer à vivre mais la nostalgie de sa première terre le retient presque physiquement attaché au sol qui l’ a vu naître et grandir. Il ne reconnaît pas le soleil, l’eau, l’air de sa prime jeunesse et cependant, quelques fois, il peut s’épanouir. La nature, la vie a pris le dessus mais n’a pas effacée la nostalgie.

12- Que pensez-vous du FLN ?

Le FLN désirait l’indépendance de l’Algérie (idem que 8, et l’OAS)

13- Que pensez-vous des Français de la métropole lors de la guerre d’Algérie ?

La peur de l’inconnu, les premières victimes (jeunes du contingent) en Algérie ont poussé les Français de métropole a regarder dans la direction France-Algérie. Ils ont oublié la direction Algérie-France qu’ont emprunté nos grands parents (mon grand père est mort gazé pendant la Grande Guerre) et nos parents (mon père et ses quatre frères ont combattu en 39-45). Et puis l’arrivée en Métropole de Pieds noirs où chacun de nous a été confronté à la générosité et à l’altruisme de certains et à la mesquinerie (ou plus) de certains autres de nos concitoyens. En somme, l’Homme dans toute sa grandeur et toute sa petitesse.

14- Faîtes-moi part de vos conditions d’arrivée en Métropole ?

Elève officier à l’école militaire de Strasbourg, à mon arrivée en métropole, j’ai vécu en vase clos durant les deux premières années.

15,16- Lors de cette arrivée par quoi avez-vous été le plus surpris ? Quelles ont été vos déceptions ? Quelles étaient vos aspirations lors de cette arrivée en Métropole ?

La France était (et est toujours) ma Patrie mais ce n’était pas ma Terre. Ma plus grande déception : ne pas être reconnu comme français même par certains métropolitains qui avaient accompli leur service militaire en Algérie, dans mon village, et que nous recevions régulièrement à la maison pour le repas dominical et à chacune de nos réunions familiales (mariage, baptême, …).

17- Avez-vous un message à faire passer aux Algériens ?

J’avais 22 ans lorsque j’ai quitté l’Algérie. Quarante deux ans plus tard, mes souvenirs n’ont plus la même saveur. Seule me reste la nostalgie d’un passé toujours présent. N’oubliez pas !

18,19- La France (la Métropole) est-elle après toutes ces années votre pays ? Expliquez pourquoi ? Qu’est-ce que l’intégration selon vous ?

La France a toujours été ma patrie et est devenue mon pays dès que l’avion qui me ramenait d’Algérie s’est posé à Marseille. Voilà ce que j’en pense aujourd’hui, à 64 ans, après avoir passé 42 ans en métropole. Il y a eu progressivement osmose entre ma patrie et mon pays. Si l’intégration répond à ce critère, alors j’ai été intégré. Si l’intégration est de « faire entrer dans un ensemble, dans un groupe », je n’ai jamais été intégré car étant français à part entière, je faisais de facto partie du groupe des français (comme les Corses, les Alsaciens ou les Bretons).

20- Par quoi avez-vous envie de terminer votre témoignage ?

Un vieux pied noir répondait ceci à ceux qui lui demandaient comment il vivait en France depuis son retour d’Algérie : « Je suis comme ce poisson de rivière que vous voyez dans ce bocal. Chaque jour, il reçoit sa nourriture lyophilisée et à longueur de journée il tourne en rond dans ce bocal. En somme, il vit... Par contre, s’il pouvait rejoindre sa rivière, il mangerait peut-être des petits cailloux, à défaut de nourriture lyophilisée, mais il sauterait de joie à longueur de journée.
En somme, il vivrait heureux …

Vincent Bouba, 22 avril 2005

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